"Le nuage pourpre" est signé Matthew Phipps Shiel, un nom qui ne vous dit peut-être rien mais derrière lequel se dissimule la vie plutôt atypique d'un homme qui fut fait roi de Redonda par la reine Victoria. Redonda étant un îlot destiné à être annexé par Antigua-et-Barbuda.
La personnalité de cet auteur caribéen - que je n'ai pas connu personnellement, vous vous en doutez - semble transparaître dans ce roman post-apocalyptique "d'avant-garde" où il est justement question d'un homme, un jeune médecin anglais du nom de Adam Jeffson, seul survivant d'un cataclysme ayant décimé l'espère humaine.
Le roman s'ouvre sur la dimension ésotérique d'une séance d'hypnose pour se poursuivre "à la Jules Verne" par une exploration périlleuse du pôle Nord puis par l'extinction de l'espèce humaine provoquée par un mystérieux gaz sans doute d'origine volcanique - créant un nuage pourpre - enfin par l'errance à travers le monde dépeuplé du seul survivant, devenu pyromane et roi par la seule volonté de son ego démesuré. Adam le premier homme devient ainsi le dernier, la boucle est bouclée.
C'est un roman foisonnant beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. D'une narration toutefois moins accessible que l'excellent "Peste écarlate" que Jack London produira une dizaine d'années plus tard, en 1912. Plusieurs niveaux de lecture sont possibles, avec une dimension manichéenne du monde prégnante puisque Adam Jeffson se sent possédé et déchiré entre deux entités intérieures, la force noire et la force blanche.
Le sort de l'humanité semble donc scellé à lire ce roman aux descriptions post-apocalyptiques glaçantes - et davantage encore, lues dans le terrible contexte de l'invasion russe en Ukraine - et chacun en tirera les réflexions et conclusions qu'il souhaitera selon sa propre compréhension. "L'Enfer" de Dante compte bien plusieurs cercles.
Malgré l'intérêt évident que présente ce roman écrit au tournant du XIXème et du XXème siècles, le rythme assez lent ne m'a pas exonérée d'un certain ennui. De même, j'ai détesté toutes les considérations se rapportant aux femmes - même remises dans leur contexte - et la mégalomanie croissante du personnage principal, "roi du monde"... ou d'un îlot des Caraïbes. Fantasme ou fantasmagorie, à vous d'en juger.