Mémoires imaginaires de Huizong, tyran et artiste

Au crépuscule de sa vie, un vieil empereur se retourne sur son passé et revient sur une existence vouée aux affaires politiques, mais également à l'amour, à l'art, à la philosophie... Non, il ne s'agit pas du résumé des "Mémoires d'Hadrien" : l'empereur dont il est question ici se nomme Huizong de la dynastie des Song et régna sur la Chine au douzième siècle. Pourtant le parallèle avec le chef-d'œuvre de Marguerite Yourcenar est loin d'être incongru. Outre la proximité de leur sujet et de leur mode de narration, ils ont en commun leur ambition littéraire et intellectuelle. "Le Palais des Nuages" n'est, en effet, pas une lecture facile. Il faut s'accrocher pour venir à bout de ces six cents et quelques pages, très denses, au style très travaillé, souvent poétique — quoi de plus normal s'agissant des mémoires d'un homme qui, comme d'autres souverains chinois, fut peintre et poète ! Mais quel destin passionnant, et quelles belles pages nous sont offertes par ce narrateur qui, après son abdication, n'est plus rien, après avoir été le Fils du Ciel !


À aucun moment l'empereur n'apparaît comme un personnage antipathique. Il n'a rien d'un individu cruel ou violent, bien au contraire. Il n'a pas cherché à se hisser au plus haut rang et aurait préféré mener une existence modeste consacrée à l'art de la calligraphie, ou une vie d'ermite dans ces montagnes du Sud qu'il aime tant. Une fois monté sur le trône, il ne rêve ni de puissance ni de conquêtes militaires : toute sa politique tend vers la recherche de la beauté sous toutes ses formes, une quête symbolisée par un Palais des Nuages fantasmagorique... Pourtant il agit bel et bien en despote, menant son pays à la ruine sans en avoir conscience, avec toute l'innocence d'un dirigeant condamné de par sa fonction à ne jamais quitter l'enceinte de son palais. Le roman s'ouvre fort judicieusement sur une citation du philosophe Alain : "Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou". Le glissement vers la folie se fait de manière quasi imperceptible, tant pour le lecteur que pour le narrateur lui-même. Il faudra l'irruption de la laideur dans la capitale impériale, sous la forme d'une invasion des barbares du Nord, pour dessiller ses yeux et le mettre face à ses terribles erreurs de jugement.


S'ils sont tous deux des romans historiques ayant pour cadre la Chine ancienne, ce "Palais des Nuages" a, dans le fond comme dans la forme, tout de l'antithèse du laborieux "Disque de Jade" de José Frèches que j'avais lu quelques semaines plus tôt. Je ne doute pas que la grande majorité des lecteurs préférera ce dernier, bien plus accessible. Mais si vous vous êtes régalé à la lecture des "Mémoires d'Hadrien" et si la Chine ne vous est pas tout à fait étrangère, alors il est possible que vous trouviez à votre goût ces mémoires imaginaires de l'empereur Huizong, tyran et artiste.

Oliboile
7
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le 2 sept. 2017

Critique lue 304 fois

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