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Le Peuple
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Le Peuple

livre de Jules Michelet (1846)

Il ne faut pas lire Michelet comme on lirait un historien s'appliquant à une méthodologie rigoureuse, mais plutôt pour analyser la manière dont on percevait un certain romantisme français dans l'historiographie du XIXe siècle. Son livre "Le Peuple", publié en 1846, en est l'illustration la plus fulgurante. Je pense que c'est la petite Bible de l'image dont on se fait du peuple français dans l'imaginaire collectif, les Français tels que décrit dans un chauvinisme cocardier mais aussi comme citoyens républicains par essence.
Michelet naît en 1798, soit peu de temps après la Révolution, et à la fin du XVIIIe siècle, c'est un libéral constitutionnel et il avait déjà atteint le versant "radical" de sa carrière politique, vers 1840, il devient anticlérical et républicain et c'est ce qui influenceras bon nombre de ses travaux. En effet, Michelet a toujours désigné comme ennemi idéologique, la figure du jésuite. Il a cet état d'esprit dans Le Peuple, il théorise une forme de "pays réel" avant Maurras, à la fois imprégné de valeurs chrétiennes mais agissant indépendamment d'elles. Un peuple forme un peuple lorsqu'il se révolte contre ce qui le maintient docile.
Lorsque Michelet dit "Je suis né peuple", il maintient sa conception messianique de son travail, il est l'intermédiaire mystique du peuple dont il fait l'histoire, et pour qui il la fait. Ce livre raconte le peuple d'hier pour le peuple d'aujourd'hui. Avec Michelet, la France et son peuple sont dotés d'une mission providentielle : enfanter toutes les nations à la liberté, La France est le vaisseau-pilote de l'humanité, ainsi on voit émerger toute la pensée d'un messianisme humanitaire que les critiques du droit-de-l'hommisme ne cessent de dénoncer et qui règne encore chez nos élites républicaines qui ont fort bien ancrée les valeurs étatistes et jacobines, mêlée au romantisme de la figure de De Gaulle.


Aussi, un autre mythe qui fait encore école et que nous retrouvons chez Michelet, c'est le peuple français comme entité non-raciale, contrairement à la prétendue vision germaniste ou pangermaniste (ce n'est pas pour autant que Michelet ne croyait pas au mythe aryen comme les intellectuels de son époque). En cela, Michelet se démarque d'un Augustin Thierry qui avait une analyse bien plus raciale des rapports sociaux entre Français par rapport à l'invasion des Mérovingiens. Une analyse qui date de l'Ancien régime, par ailleurs, le fameux débat entre les romanistes et les germanistes. On la retrouve notamment chez Henri de Boulainvilliers qui cherchait à expliquer et justifier la domination sociale de la noblesse sur le tiers-état. Les nobles français, sont les descendants des Francs tandis le tiers-état descend des Gallo-romains, vaincus par les Francs. A la suite de quoi, les Francs auraient réduits les premiers en servitude et se seraient emparés de leurs terres. Cela discrédite toute revendication d'égalité civique, ce n'est pas le premier mythe en place en Europe, il est à rapprocher de l'origine de la noblesse des Junkers dans la Prusse de l'époque (dont j'avais parlé dans ma critique du livre de Johann Chapoutot), ces fameux aristocrates descendants des chevaliers Teutons ayant colonisé et christianisé la région allemande au temps du Drang nach Osten.
Augustin Thierry reprenait cette idée dans une logique de choc des races. Michelet refuse cette vision, il a une optique plus sociale dans son développement, pour lui, un peuple forme un agent collectif de l'Histoire, c'est la somme de toutes les individualités. En cela, il va à l'encontre de l'histoire des grands hommes qui était la norme à son époque. Michelet était fasciné par les petits individus et leur manière d'influencer la nation, en cela il s'était longtemps à intéressé à la figure de Luther, dont il a traduit les propos de tables, il fait mention d'une formule qui l'a marqué, celle du "Herr Omnes" : Monseigneur tout !
Monseigneur tout, voici ce qu'est le peuple pour Michelet. Après 1830, on a cherchait le héros de la Révolution française, pour Michelet c'était acté, c'était le peuple.


A cette époque, Michelet écrivait en parallèle son tome de l'Histoire de France sur le Moyen-Âge, ce qui lui laissait la liberté de s'exprimer sur le peuple. Il écrivait le Moyen-Âge comme une histoire populaire, une histoire urbaine. Il voit dans les grands monuments, l'expression du peuple. Les cathédrales, pour lui, ne sont pas la représentation de la domination ecclésiastique dans la société civile, non pour lui, les cathédrales ne sont pas les maisons de Dieu mais les maisons du peuple. A cet égard, il se rapproche grandement du restaurateur de cathédrales, Eugène Viollet-le-Duc qui comme Michelet, pensait que les cathédrales étaient l'expression d'une volonté identitaire et esthétique, ou encore de l'historien de l'art Elie Faure, qui écrivait une histoire de l'art du point de vue du peuple. Je vous recommande ses écrits très intéressants sur les cathédrales, mais qui sont teintés de contre-vérités, mais qui restent intéressantes à explorer. Michelet, comme Faure ou Viollet-le-Duc, pensaient que les cathédrales étaient un lieu de vie pour le peuple.
Selon eux, les rues traversaient les cathédrales ! Les cathédrales étaient placées au milieu de la ville et elles étaient entre-coupées par des rues, où les gens passaient et se disaient bonjour. On y faisait son marché, il y avait certaines tribunes politiques, c'était un lieu de rencontre comme un autre, tout, sauf un lieu cultuel ! C'est une vision évidemment fantasmée.
Voir du populaire dans une structure aussi dominante que l'Eglise, c'est assez révélateur du caractère pointilleux du romantisme de Michelet.


Toutefois, Michelet est tout de même lucide. Il se rend compte que très souvent, le peuple se montre décevant. On l'attends avec un drapeau rouge, il reviens avec un gilet jaune. Michelet distingue une raison simple à cela : le peuple n'a pas pleine conscience de lui-même, faute d'éducation. C'est le mythe de la fonction de l'école républicaine, Michelet étant bien content que l'on ai viré les jésuites.
Michelet invoque le fait que le peuple est globalement écrasé par la violence du machiniste, qu'il est impuissant face à la menace du progrès technique. Michelet ayant assisté avec pessimisme aux premières expositions universelles de Paris. Les tisserands lyonnais et les canuts, sont pour lui en perdition !
Pour lui, il n'y a de véritable peuple, qu'un peuple révolté, comme je l'ai déjà mentionné plus haut. La France est la Jérusalem des coeurs, et son peuple sont ses croisés. L'amour seul construit la cité.


Par ailleurs, et c'est intéressant, pour Michelet, le peuple s'incarne dans une femme. Non pas Marianne, mais Jeanne d'Arc. Jeanne était au départ un symbole républicain, avant d'être récupéré en urgence par les traditionalistes. C'est bien Michelet, l'inventeur du mythe de Jeanne qui était un personnage absolument insignifiant jusqu'alors (bien qu'à l'époque Jules Quicherat publiait les actes du procès de Jeanne). Entre le Moyen-Âge et l'époque de Michelet, la seule vraie référence à Jeanne était un poème de Voltaire appelé "La pucelle", dont l'objet du poème consistait justement à démontrer le contraire - pas de quoi être fier, et une vague sculpture de Marie d'Orléans, la sculptrice de Louis-Philippe pour le château de Versailles alors destiné à devenir un musée.
L'époque de Michelet signe le début de l'époque du chemin de fer, à cette époque-là, ce qu'on lisait c'était les romans de gare de collection Hachette, dont le Jeanne d'Arc de Michelet ! Sorti bien après Le Peuple, en 1853. La Jeanne d'Arc de Michelet est bien loin de la figure qu'on en fait aujourd'hui, c'est une gauchiste, anticléricale, anti-monarchiste. Elle est envoyée au bûcher, par la nullité monarchiste et la haine ecclésiastique, les catholiques ne s'en emparent pas puisqu'elle a été condamnée par un tribunal religieux.


Bref, en dépit de certaines déclarations pleins d'envolées lyriques et passionnées comme Michelet sait si bien le faire. Son livre reste tout de même assez finement analysé, notamment sur les symboles, la pratique du quotidien et des vêtements. Michelet fait une sociologie du vêtement chez le Peuple : la hiérarchie des classes ne se voit plus tant que ça, à la Belle Epoque, les vêtements uniformisent les classes sociales, que ce soit le chapelain ou le paysan, ils portent tous le pantalon et la chemise. L'ouvrier endimanché n'est pas distinct du bourgeois. Le visuel décroit considérablement.


Michelet pense que le Peuple est dans la continuité de l'Humanité au sens progressiste du terme. L'Humanité se distingue des peuples et de tout les genres humains, ainsi la France a notamment vocation à accueillir toute sorte d'être humains et même toute sorte d'être vivants. Son délire continueras plus tard lorsqu'il publieras des ouvrages sur les animaux : l'oiseau, l'insecte ou encore des espaces comme la mer, avec sa sensibilité.
Un ouvrage intéressant avec une réflexion passionnée derrière, à lire pour ceux qui souhaitent avoir idée de ce à quoi correspond un regard romantique post-Révolution. A mon sens, ce n'est pas moins nul que ce qu'on pu faire des Barrès ou des Maurras.

Polyde
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le 4 déc. 2018

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