Le Pingouin
7.2
Le Pingouin

livre de Andreï Kourkov (1996)

Beaucoup aimé ce roman insolite et rusé qui propose une intrigue étonnamment décontractée en dépit du nombre non négligeable de meurtres et autres crimes qu'elle sous-entend. Car "Le pingouin" frise le thriller post-moderne, le polar existentiel, voire la franche boucherie, tout en réussissant à n'être que la paisible vie quotidienne de Victor, un plumitif qui passe ses journées à écrire de petites nécrologies en compagnie de son pingouin domestique.


Ce bouquin est une merveille d'équilibre, qui fait flotter ses protagonistes sur une histoire violente (on parle bien ici de la dé-soviétisation de l'Ukraine, une affaire sanglante et mafieuse, comme partout dans la fédération de Russie), mais qui garde notre intérêt fixé sur le repas de ce pingouin anémique (Micha, très chouette nom pour un pingouin), et sur les amitiés immédiates et autres liens d'affections qui se tissent autour du pourtant très solitaire Victor. On y est plus interpellé par un dessin d'enfant que par ce lourd pistolet sur la table de cuisine, comme si la petite histoire de Victor, son désir de normalité (lui qui par dépit cohabite avec un pingouin!) empêchait le polar d'accoucher pleinement de ses clichés romanesques. C'est déroutant au début et puis on accepte complètement cette primauté du quotidien (avec ces nombreux repas et moments minutieux, comme chez un Murakami) sur celle du "scénario".


Ce livre est une superbe mécanique de précision, une vraie horloge suisse, qui nous fait avancer de paragraphe en paragraphe avec une aisance et une nécessité implacables. En dépit des mystères, d'une certaine irréalité même, tout coule de source dans le déroulé de cette affaire, et rien d'insensé ne vient troubler le récit, chaque moment de l'action a sa raison d'être, sa motivation, et c'est tout l'art de ce roman de nous faire accepter chaque minute de ces étranges journées comme allant de soi.
J'ai beaucoup aimé aussi que Andreï Kourkov propose une manipulation bluffante des doubles (chaque personnage a le sien, les noms se répètent, les amis et ennemis se confondent, un voile n'en finit pas de se soulever sur une autre réalité sous-jacente et infiniment dangereuse ... Quant au pingouin lui-même, double ultime du héros, sa silencieuse mais cruciale présence fait osciller le livre entre fable et 4°ème dimension...


Superbe roman donc, à l'humour discret et presque élégant, à la construction schizophrénique et implacable, qui nous fait suivre un engrenage imperceptible mais impérieux vers un final très satisfaisant. Entre polar déjanté et recherche du bonheur en territoire hostile, "Le pingouin" est une excellente lecture , guys et guyzettes!

nostromo
9
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le 20 nov. 2016

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nostromo

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