On ne sait du théâtre de la guerre que ce que les images véhiculées par la télévision et les articles de la presse diffusent, toujours derrière un quatrième mur. Puis vient la fiction de Sorj Chalandon qui, armée d'une prose efficace et sans apprêt, brise ce mur et agrippe son lecteur pour le mettre face à une horreur qu'un reportage n'aurait pas mieux décrite. On suit l'intrigue fatale, on sait dès le début comment tout cela va finir, mais on veut comprendre, on cherche une réponse : que peuvent l'art, la littérature, le théâtre face aux massacres ? Comment la créativité survit-elle quand l'humanité est battue en brèche ? Comment, enfin, sortir d'un enfer tel que celui dépeint ici sans aucune complaisance ?

Au début des années 80, Samuel Akounis, Grec expatrié d'origine juive et metteur-en-scène, demande à Georges de lui promettre la chose suivante : mettre-en-scène l'Antigone d'Anouilh au Liban, en pleine guerre, empruntant un acteur à chaque camp : sunnite, chiite, maronite, palestinien, druze... Tel est l'argument de la pièce, pardon, du récit. S'ensuit une quête de concorde, de "répit" qui serait imposé par le théâtre. Quête qu'un homme, revenu de la dictature grecque et en phase terminale d'un cancer, transmet à un autre homme, son cadet, jeune militant qui ne sait encore rien des enjeux de guerre et de paix et qui, au contact des exactions entre camps belligérants, devient un véritable engagé au service d'une seule cause : le théâtre. Le récit révèle alors peu à peu le vrai visage du protagoniste en levant le rideau sur les horreurs d'un conflit qui ne laisse place à aucune pitié, ni concession.

En une succession de vingt-quatre chapitres qui rappelleraient presque vingt-quatre chants d'une épopée grecque s'il ne s'agissait ici de tragédie, Salandon nous peint l'évolution tout en nuances d'un caractère violent au prise avec une réalité tout aussi violente, si ce n'est plus. Georges est Antigone, l'engagement dans le refus. Mais il est aussi le quatrième mur, celui qui passe de la France au Liban, d'une paix insouciante à une guerre lourde du destin de ceux qui la vivent au quotidien, victimes et bourreaux ; le choeur, aussi, qui témoigne pour le spectateur et qui, de la fiction à la réalité, nous donne à voir tout ce qu'un conflit meurtrier enlève à celui qui le vit.

Au fur et à mesure que Georges poursuit son destin tissé de violence, il voit disparaître tout ce qui le rattache à la paix, au bonheur et à la vie. On constate même, qu'à force de pénétrer sur le terrain de la guerre, Georges s'affirme plus tandis que Sam, défenseur de la paix et initiateur du projet qu'il confie à Georges, s'évanouit lentement, les deux amis étant deux pôles opposés. Toute la réalité du désastre du protagoniste se dessinerait avec l'échec du rêve de son alter ego...

On referme ce livre sur lequel est inscrit très sournoisement "roman" avec l'impression de ne pas en être sorti indemne non plus.
Rodelsir
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le 16 oct. 2013

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