«Quand nous reviendrons, j’écrirai une histoire, un nouvelle ou peut-être un conte, un conte de fées, répétait souvent Schächter. Je raconterai entre autres choses comment le ciel a pu se perdre en enfer et comment l’enfer est monté au ciel, comment aussi j’ai pu aussi trouver rapidement un ténor et une basse.»

Raphael Schächter, compositeur, musicien et chef d’orchestre, déporté à Theresienstadt en 1941, réussit à assembler un chœur de cent cinquante chanteurs au prix d’un courage et d’une détermination acharnés, malgré les déportations constantes des musiciens vers Auschwitz, à faire rentrer des instruments dans le camp en dépit de l’interdiction nazie, à organiser des répétitions dans les caves du camp, et à finalement monter le Requiem de Verdi.
En Octobre 1944, il fut transféré à Auschwitz dans les «transports d’artistes» et n’y survécut pas.

Le tchèque Josef Bor (1906 – 1979), déporté à Theresienstadt mi-1942, à la suite d’un attentat ayant entraîné la mort du S.S. Reinhard Heydrich, s’est inspiré de cette histoire pour écrire ce livre publié en 1963, qui raconte comment le génie a côtoyé l’enfer à Theresienstadt.

«Rien ne bougeait plus dans la grande cave, toute vie semblait avoir reflué. Le regard las du chef d’orchestre allait de l’un à l’autre, sans pouvoir se fixer sur l’une des nombreuses silhouettes immobiles devant lui. Il ne paraissait même pas voir toutes ces têtes baissées. L’âme perdue, comme machinalement, Schächter se mit à compter les places laissées vides dans les rangs de ses chanteurs ; elles seules l’attiraient, là se pressaient encore hier tant d’amis, ces musiciens disparus. Son chœur était peut-être irréparablement démantelé.»

Malgré la barbarie et le désespoir, bien que la troupe des artistes soit décimée par les déportations vers le camp d’extermination d’Auschwitz, Raphael Schächter et ses musiciens persistent, pour enfin donner une représentation de cette messe des morts catholiques devant des officiers nazis, dont Eichmann, une sorte de défi, et surtout une représentation des souffrances des Juifs et un message de justice dans un face-à-face terrible avec leurs bourreaux.

«Dans l’univers absurde et d’une brutalité, d’une barbarie inconcevables où on les avait précipités de force, chacun désirait ardemment percevoir le moindre frémissement d’un sentiment humain et profond. Il devinait surtout combien, en secret, on attendait de l’art.»

Bouleversant et indispensable.
MarianneL
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le 5 févr. 2014

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