Lu en Janvier 2022. Ed Folio. 8/10


Le Roi se meurt est ma troisième lecture d'un Ionesco. Il arrive 10 ans plus tard que La cantatrice Chauve dans la dramaturgie de l'auteur Franco-roumain. Et j'ai senti qu'il y avait eu une prise de maturité dans le texte, dans le traitement, dans le thème même. Ce qui n'est d'ailleurs pas nécessairement positif car j'ai préféré le délire assumé, l'impertinence, de la première pièce de l'auteur à celle-ci.


Cette pièce est beaucoup plus bavarde, elle est longue, 130 pages en 1 acte… c'est long.
Il y a bien des moments où ça piétine, car elle raconte la même chose du début à la fin (ce qui semble être le cas dans tous les Ionesco mais habituellement c'est relativement court…).
J'ai aussi ressenti à la lecture, à quelle point le texte était pensé pour la scène. J'avais l'habitude des indications scéniques mais là elles sont d'une précision et d'une récurrence que j'en ai été presque gêné dans ma liberté d'interprétation.
Enfin, le sujet : la mort. Cette pièce a réellement sa place dans l'absurde au sens camusien. Il y a une réflexion nette sur l'absurdité de la vie, bien plus forte et bien plus désespérante que dans La cantatrice ou la leçon. Et c'est positif, en celà que Ionesco crée une grande profondeur dans son œuvre, mais c'est déplaisant, en cela que ça perd en insouciance et en défouloir. Ce n'est plus un défouloir comique à souhait, c'est la tragédie de la vie qui nous échappe.


J'ai mis du temps à comprendre le rôle profond à donner aux deux femmes au Roi Béranger.
J'ai deux théories :
Soit Marguerite est une allégorie de la mort et Marie de la vie. Soit, plus probable, Marguerite et Marie sont dans la tête de Béranger (comme tout son monde qui s'écroule autour de lui) et la première incarne la conscience et la pulsion de mort qu'il fuit, tandis que la seconde est son inconscience et sa pulsion de vie qu'il dévore à grandes dents.
Cette théorie irait dans la continuité de l'idée que Marguerite serait un peu la metteuse en scène de cette histoire :
"Quelle comédie !" (p43)


"LE ROI : Les rois devraient être immortels.
MARGUERITE : Ils ont une immortalité provisoire." (p53)


Mais d'ailleurs, j'ai vraiment eu l'impression que seul le Roi n'était pas au courant d'être dans une pièce de théâtre. Tous les personnages à part lui, ont une lucidité sur la facticité de leur existence.
"JULIETTE : Il fait encore des jeux de mots." (p95)


Dans tous les cas, la réflexion sur la mort qui nous rattrape est profonde, permanente et tragique : *"Rapatriés à vingt-cinq ans, ils en ont quatre-vingts au bout de deux jours. Vous n'allez pas prétendre qu'ils vieillissent normalement." (p25 - Marguerite)


"Non. Je ne veux pas mourir. Je vous en prie, ne me laissez pas mourir. Soyez gentils, ne me laissez pas mourir. Je ne veux pas." (p52 - Le Roi)*


Et le désastre comme ses solutions sont ancrés dans le réel :
"Tout le monde est le premier à mourir." (p60 - Marie)


"Il n'y a plus rien d'anormal puisque l'anormal est devenu habituel. Ainsi, tout s'arrange." (p32 - Le Roi)


L'amour semble aussi être une solution pour éviter l'oubli mortel :
"MARIE : M'aimes-tu? M'aimes-tu? Je t'aime toujours. M'aimes-tu encore? Il m'aime encore. M'aimes-tu en ce moment? Je suis là... ici... je suis... regarde, regarde... Vois-moi bien... vois-moi un peu.
LE ROI : Je m'aime toujours, malgré tout je m'aime, je me sens encore. Je me vois. Je me regarde." (p105)


Au-delà de la réflexion sur la mort, n'y a-t-il pas une réflexion sur le totalitarisme ? Le roi souhaite à tout prix qu'on conserve sa mémoire, que tout finisse avec lui. N'est ce pas ça la dictature, tout lier à sa propre personnalité ?


Évidemment, il y a quand même du comique, des phrases qui font sourire par leur absurdité que ça soit le médecin qui est aussi chirurgien, bourreau, bactériologue et astrologue de la cour, ou bien par des répliques comme celle là :
"LE MÉDECIN : Mars et Saturne sont entrés en collision.
MARGUERITE : On s'y attendait." (p26-27)


Le personnage comique par excellence est assuré par Le garde qui se rend insupportable pour tout le monde, mais son comique de répétition fonctionne très bien.


En bref, j'ai trouvé ça un peu bavard, moins efficace et moins drôle, donc moins agréable à lire que les deux œuvres lues précédemment. Mais c'est peut être plus intéressant à analyser littérairement et philosophiquement parlant, c’est porteur d’un sens extrêmement lourd qui prend son temps. Après tout… la mort vient bien assez vite.

Arimaakousei
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le 9 mars 2022

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