Gilles Marchand offre avec ce roman une belle tranche de poésie joyeuse et lumineuse dans une des pages sombres de l'histoire contemporaines.
Dans ce roman le narrateur s'exprime à la première personne sans jamais nous donner son nom ,sans nous le cacher non plus volontairement, simple soldat inconnu avant l'heure. Ce soldat français a perdu sa main après quelques mois de conflit. Se sentant coupable d'avoir si peu contribué à cette guerre qu'on a tous perdu en la gagnant, il s'engage d'abord comme chauffeur manchot durant la fin du conflit, puis comme détective pour la période suivant le conflit.
Détective car chaque famille, chaque village a perdu un enfant, un mari, un frère, un père. Tous cherche à savoir si par miracle il n'aurait pas survécu. Notre narrateur écume donc les registres, les hôpitaux, les morgues, pour trouver la trace des disparus.
C'est ainsi qu'il est embauché par Mme Joplain pour retrouver la trace de son fils, jeune dandy poète qui n'était pas taillé pour la guerre mais qui a quand même du la faire. On va rapidement se rendre compte que c'est une double quête dans laquelle s'engage notre narrateur: celle d'Emile Joplain donc, mais aussi et surtout celle de Lucie, l'amoureuse d'Emile, de trop basse extraction pour être accepté par la famille Joplain, de trop alsacienne extraction pour être vu d'un bon œil du côté français.
Au fil de l'enquête, on va donc rencontrer une suite de personnage haut en couleurs. La bonne idée de Marchand et de leur donner à chacun une façon de parler à la fois spécifique, reconnaissable ensuite facilement quand on les recroise (nous évitant de nous perdre dans cette galerie importante de personnage), sans en faire des caricatures. A mesure de ces rencontres et de ces histoires de guerre, de tranchées, de légendes de la fille de la lune, on progresse à la suite d'Emile Joplain et de "sa" Lucie, de leur amour impossible au milieu de ce charnier de chair, de feu et de boue qu'était le nord est de la France d'alors.
J'ai trouvé la résolution de l'histoire amené un peu facilement sur la fin, mais ça ne dénote pas trop avec la poésie du reste du roman. On sent un gros travail de recherche et d'inspiration de l'auteur des classique du genre (il cite lui même "à l'ouest rien de nouveau", "Feu" de Barbusse qui joue même un rôle capital dans l'histoire du roman, "Grand troupeau", "La main coupée", "la peur", "gaspard", "poèmes à lou").
Et en effet, le roman "sonne juste, j'ai vraiment apprécié tous ces poilus et leur histoire livré en quelques pages et pourtant si prenante.
C'est un court roman, qui se lit de façon très agréable, dont le dénouement aurait mérité un peu plus de complexité sans que cela n'entache cette belle ôde à la paix et à l'amour, y compris et surtout dans l'Enfer des tranchées.