Avec Le Témoin jusqu’au bout Georges Didi-Huberman réfléchi à la place de l’affectivité dans le témoignage porté par Victor Klemperer dans son journal clandestin (écrit entre 1933 et 1945).


Comme toujours, Didi-Huberman parvient, en entremêlant des extraits de Klemperer et ses propres analyses, à éclairer une question philosophique difficile tout en nous donnant envie de plonger dans l’œuvre qu’il commente.


Le cœur du problème est celui de l’émotion et de sa place dans le discours politique totalitaire ou dans le témoignage de l’oppression. Georges Didi-Huberman montre que le problème n’est pas l’affectivité boursouflée qui pose un problème dans la langue totalitaire, mais le fait que l’émotion « totalitaire » n’est jamais partagée (au sens double de scindée en elle-même et capable de faire « terrain commun », « d’être partagée »).


Klemperer poursuit une entreprise philologique, en analysant finement cette absence de partition intérieure dans le lexique nazi (tout est de superlatif, d’exagération ridicule et d’univocité), tout en construisant, pour lui-même et pour ses pairs, un témoignage où l’émotion est, au contraire, toujours partagée.


Ce que ce livre nous fait comprendre, c’est le rôle essentiel du et pourtant au cœur de nos émotions – comment, finalement, l’émotion fait communauté à partir du moment où elle est partagée en elle-même. « Je te hais et pourtant je t’admire », « je suis en colère et pourtant je t’aime », etc.


Georges Didi-Huberman est extrêmement fort pour lancer des ponts à l’intérieure des œuvres, artistiques, littéraires, qu’il commente et qu’il pense. Le Journal de Klemperer, que je vais lire ensuite, m’apparaît soudain éclairé par des lignes lumineuses, à la manière des pistes d’un aéroport dans la nuit noire : y atterrir m’apparaît maintenant plus facile.

Romain_Lossec
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le 30 janv. 2023

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Oscar Semillon

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