Une poignée de passages brillants sauve Le Tournoi des preux, roman au goût doux amer mais qu'il est Ô combien difficile de ne pas aimer. On est ici très loin de la qualité des autres récits du Vieux Royaume (Janua Vera, Gagner la guerre, Le sentiment du fer, Comment Blandin fut perdu), dont le texte est pourtant bardé de références. Avec cette nouvelle trilogie Jaworksi semble vouloir relier les points, récompenser le lecteur attentif, et ça marche : il y a un vrai plaisir à retrouver certaines vieilles figures, à réentendre parler de lieux connus, cela donne corps à ce monde et ce n'est pas pour me déplaire. Après tout voilà bientôt 15 ans que nous attendons la suite de Gagner la guerre.
Au-delà des retrouvailles (parfois bien succinctes, Jaworski joue avec les attentes de ses lecteurs), le roman a bien sûr de vraies qualités. Le style est travaillé, la société dépeinte est crédible et d'une belle précision, l'intrigue est riche (constituée de plusieurs couches, dont les plus importantes restent en filigrane pour les exploiter dans les suites), et l'on a droit à certains passages tout bonnement excellents.
En revanche ! En revanche c'est un récit extrêmement froid par nature, souffrant d'un rythme mal dosé et d'une logorrhée épuisante.
Froid, donc, parce qu'usant de focalisation externe. Sans entrer dans le détail pour ne pas gâcher la surprise (et elle est très plaisante), un certain retournement dans la narration explique ce choix, mais son coût est très lourd : on n'entre jamais véritablement en empathie avec les personnages. Nous ne savons qu'assez rarement ce qu'ils pensent et ressentent, on se contente généralement de les suivre, de lire leurs actes. C'est particulièrement vrai pour le protagoniste, qui donne pourtant son nom à la trilogie, et qui m'a laissé froid du début à la fin tant il est un mystère. On ne sait presque rien de lui et de ses suivants, et une fois les 500 pages refermées on n'en sait pas beaucoup plus. On en sait à peine plus que dans Au service des dames (nouvelle dont il est à l'origine issu), et le peu que l'on apprenne est tissé d'ombres. Et il en va de même pour les autres personnages que l'on suit, qui de plus sont entourés d'un essaim de mecs aux noms à coucher dehors, et que Jaworski n'arrive globalement pas à camper : ils restent pour la plupart des noms propres, sans apparence, ni caractère, ni histoire.
Si vous craignez les longues dissertations pour vous conter l'histoire d'une région ou vous expliquer la situation géopolitique, sachez que ça n'existe pas dans Le Tournoi des preux. Par contre pour y parvenir Jaworski abuse d'exposition par le dialogue. C'est bien fait, certes, dans le sens où ça ne semble jamais forcé, mais il y a tant d'éléments à faire comprendre au lecteur que l'on passe des pages et des pages à lire d'interminables blablatages. Dans un français bien châtié ma belle dame, c'est très chevaleresque, ampoulé, alambiqué, ronflant,... L'effort est remarquable, on retrouve un parlé évoquant les gestes de chevalerie et les contes de fées, mais au bout d'un moment les politesses à tout va c'est exaspérant, surtout de par la longueur de ces échanges ! De plus, pour une raison diégétique le vocabulaire utilisé (même en dehors des dialogues) est vieux et/ou obscur. C'est tour à tour charmant et prétentieux. Sans compter que nombre de ces mots sont inconnus du type lambda (moi), et qu'il faut régulièrement chercher sur google leurs significations. Par exemple : sinople, géminé, vibrisse, tourier, escreigne, buffeter, émondage, etc.
Il y aurait encore beaucoup à redire sur ce roman, mais son unicité, ses fulgurances et les échos des chefs-d'œuvre passés en font malgré tout un bon récit. Une fois terminé, il nous reste un fort goût d'inachevé et une envie renouvelée de lire la suite : le retournement final, prévisible mais grisant, a su m'arracher un sourire.
6.5/10