Voilà un bouquin qui démarre très fort, avec un plan rapproché sur un dentiste opérant sur le quai d'un fleuve amazonien: en deux mots, vous vous trouvez dans un documentaire de National Geographic.
L'histoire est simple comme bonjour: au fond de la jungle amazonienne, une femelle ocelot terrorise un petit village. Un vieil homme passionné de romans à l'eau de rose, mais aussi aguerri à la jungle la plus brutale, va participer à la battue pour tuer la bête. Plus qu'une belle histoire écologique sur la forêt amazonienne, ce qu'il est indubitablement, ce petit livre est aussi une fable dure et profonde sur l'amour, la solitude, et ... le plaisir de lire.

C'est un bouquin remarquablement écrit, qui jongle avec moultes descriptions d'animaux, de terrains et d'hommes qui rendent vivace et prenante la petite fable qu'il nous raconte. On sent véritablement la moiteur de l'air, la pression de la pluie et la claustrophobie de la jungle entourer, retenir, empêcher les habitants de ce village perdu sur un coude de rivière. L'enfer vert les emprisonne, ne laissant circuler à l'aise que les indiens Shuar, seuls à échapper longtemps aux mandibules des fourmis.
Cette immersion (c'est le cas de le dire, il pleut tout le temps) dans un environnement exotique et sauvage rend d'autant plus frappantes les interrogations des personnages sur cette ville étrange qu'est ... Venise.

Luis Sepulveda nous donne aussi à lire de très bons portrait d'hommes, que ce soit son héros, le vieux chasseur Antonio José Bolivar, dont la rudesse est contrebalancée par sa passion des romans d'amour, ou que ce soit le maire de la ville, gros fonctionnaire ignare et corrompu, échoué comme une baleine sur les rives du fleuve.
L'auteur ne cache pas son antipathie pour les chercheurs d'or, les occidentaux et tous ceux qui viennent troubler la quiétude mortelle de cette jungle primordiale, et la violence et la mort récompensent la moindre de leurs erreurs.
Mais c'est avec une tendresse évidente qu'il s'attache à son héros, et l'histoire personnelle et la philosophie de vie qu'il lui construit, en font un personnage que je trouve très zen et assez touchant.

Je retiens surtout de la fable d'abord la représentation qui est faite de l'ocelot, que l'on verra évoluer de tueur félin sanguinaire et banal, vers une Némésis aux motivations quasi-humaines (l'écriture puissante de Sepulveda nous fait superbement ressentir la force de la bête et tension de la traque) mais ensuite aussi le souffle sous-jacent, amer et lancinant de cet amour perdu, qui anime autant le chasseur que la proie et qui donne le sentiment que plus que la nécessité de la survie, c'est leur solitude qui préside en fait à une confrontation, qu'on a plus envie d'appeler une "rencontre".

Ce chouette bouquin se lit d'une traite ou presque, et la puissance du récit, comme la maîtrise de l'écriture en font un très bon moment de lecture et de réflexion. Chaudement recommandé , folks!
nostromo
8
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le 22 janv. 2014

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nostromo

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