Ah, les recueils de nouvelles... Un éditeur décide de ranger les nouvelles d'un auteur à succès dans un recueil, histoire de surfer un peu sur la vague, et hop, en un tournemain l'affaire est bouclée.
La chronologie? On s'en fiche, on n'a qu'à mettre plein de nouvelles sans ordre précis dans notre recueil. Qu'importe si en passant de 1976 à 1958 (sic) puis de 1959 deux fois à 1963 puis à 1964 puis 1968, 1980, 1980 et 1981, le lecteur trouve que les problématiques de l'auteur évoluent, changent, trouve que les thématiques n'ont rien à voir, qu'importe si dans la première nouvelle une note de bas de page nous dit que pour bien comprendre la nouvelle, il faut lire en parallèle une autre nouvelle disponible dans un autre recueil. Qu'importé également si la nouvelle "que faire de ragland park" reprend des personnages d'une autre nouvelle complémentaire, "le suppléant / stand-by", qu'il vous faudra aller chercher dans un autre recueil de nouvelles "paycheck", etc.
L'ignorance des éditeurs est également source d'incompréhension pour moi quand je cherche à lire une nouvelle bien précise : comment trouver, dans la multitude de recueils de nouvelles de K. Dick, celle que l'on cherche? Autant y aller au petit bonheur la chance mais finalement, il semble que certaines de ses nouvelles ne soient pas encore publiées et pas très faciles à trouver... (par exemple celle dont le film "Total Recall" est adaptée - très difficile à trouver...). Dommage ici encore qu'une approche simple et chronologique ne soit pas adoptée...
Qu'importe également quand la même nouvelle se retrouve dans deux recueils du même éditeur ("là où il y a de l'hygiène" disponible dans le recueil "Immunité" et aussi dans le recueil "Paycheck").
Bref, de travail de sagouin, un vrai désastre, surtout que les traductions ne sont jamais faites par les mêmes personnes et que l'absence de notes de bas de pages expliquant certaines traductions de certains néologismes se fait cruellement sentir.
Ceci étant dit, un livre, ca n'est pas que le travail de l'éditeur, même si celui-ci s'évertue à brouiller les pistes, à rendre incohérent et difficile d'accès l'œuvre d'un auteur - un livre, c'est principalement, surtout, le TEXTE.
Et en ce qui concerne le texte, heureusement, l'esprit génial de Philip K. Dick est bien présent dans ce recueil de nouvelles.
Il m'est difficile de présenter une critique portant sur des nouvelles dans senscritique - en effet, il eut fallu scinder le recueil en autant de nouvelles qui y sont présentes, tout comme c'est le cas lorsque l'on note des morceaux de musique au sein d'un même album. Je vais donc présenter ma critique en tranches, une pour chaque nouvelle... Et ma note globale est basée sur l'impression générale que j'ai eue du livre, même si comme d'habitude dans une collection, le meilleur tire le pire vers le haut et vice-versa.
Souvenirs trouvés dans une facture de vétérinaire pour petits animaux (memories found in a bill from a small animal vet) : Divagations de K. Dick qui vont un peu nulle part. On aurait pu s'en passer (surtout quand, cf plus haut, la nouvelle dont Total Recall est tirée est si difficile à trouver...)
Non-O (Null-O) : J'ai beaucoup aimé cette nouvelle dans laquelle le raisonnement purement logique d'un enfant se confronte au fonctionnement de l'univers. C'est une belle réflexion sur le pouvoir de la logique ainsi que ses limites.
Le retour des explorateurs (explorers we) : la boucle temporelle est un sujet que K Dick semble bien aimer (voir par exemple "Un p'tit quelque chose pour nous les temponautes / a little something for us tempunauts), même si pour moi il n'a rien de très excitant (c'est très technique, il faut se creuser les méninges pour bien comprendre les tenants et aboutissants de chaque élément du scénario... bref). Une nouvelle qui ne tient qu'à son gimmick.
Une proie rêvée (fair game) : J'ai beaucoup aimé cette nouvelle dont l'humour et la dérision sont un point fort. Le personnage principal, ressemblant à certains personnages de K. Dick par la manière dont il est le jouet de forces qui le dépassent, est un bon protagoniste qu'il est amusant de voir se faire manipuler par des forces obscures.
Que faire de Ragland Park (what'll we do with ragland park?) : Un des réels points forts de ce recueil, cette nouvelle m'a maintenu en haleine d'un bout à l'autre. Non, pas forcément pour son suspense, mais car l'écriture est très claire, le ton un peu déjanté, et les ressorts pas trop compliqués ni alambiqués. Les personnages (aussi utilisés dans une autre nouvelle, cf mon introduction) sont très intéressants et je regrette presque que K. Dick ne les ait pas utilisés dans un roman plutôt que dans deux longues nouvelles.
Un numéro inédit (novelty act) : J'ai beaucoup aimé cette nouvelle (la meilleure du recueil selon moi, avec la précédente). Ici aussi, la narration est très claire - limpide, les personnages, attachants, avec ce petit je ne sais quoi Dickien qui les rend attachants et barjos, fragiles aussi, se centrant sur deux héros qui essayent de changer leur destin en y croyant une dernière fois. Du bon, beau K Dick.
L'histoire qui met fin à toutes les histoires pour l'anthologie d'Harlan Ellison Dangereuses Visions (the story to end all stories for harlan) : private joke d'une seule page que l'on ne peut comprendre que si l'on a lu du Harlan Ellison - ce qui n'est pas mon cas. Meta-textuel qui me passe à côté. Dommage.
Le cas Rautavaara (Rautavaara's case) : j'ai été étonné par cette nouvelle qui parle d'une expérience scientifique qui bascule dans le mystico-religieux. Sans pour autant dire que j'ai trouvé cette nouvelle bonne, elle m'a intrigué et le gimmick sur lequel elle repose est amusant mais assez limité en fin de compte.
Le voyage gelé (frozen journey) : cette nouvelle qui a donné son titre au recueil est l'une des meilleures. Les thèmes chers à K. Dick sont très forts dans ce récit (exploration de soi induite par la technologie - voyage intérieur perturbé par des névroses inhérentes au personnage, ...). Quelques passages semblent répétitifs, mais j'attribue cela à la volonté névrotique de K. Dick de nous faire pénétrer dans l'esprit de son personage en proie aux névroses...
L'autremental (alien mind) : un peu ridicule devant la qualité de certaines autres nouvelles de ce recueil, l'Autremental met dans une situation ironique des voyageurs de l'espace un peu crétins. Ca fait trois pages donc ça limite les dégâts...
Conclusion : Les meilleures nouvelles de ce recueil ne sauvent pas tout à fait l'ensemble et il est difficile de comprendre et d'accepter les cassures de rythme et de qualité d'une nouvelle à l'autre.
Je suppose que certaines de ces nouvelles ont été écrites par K. Dick dans des situations où il était payé pour chaque mot qu'il écrivait (c'est en tout cas une situation dont parle souvent Asimov lorsqu'il vendait ses nouvelles) - en fait je n'en sais rien mais les longueurs de certaines nouvelles et la profusion de mots parfois superflus me fait penser que c'est ici le cas. Mais alors pourquoi commencer chaque nouvelle par des phrases qui nous plongent dans l'action sans jamais prendre la précaution d'une introduction? Est-ce obligatoire de commencer une nouvelle aussi abruptement? (par exemple "le professeur douglas s'installa dans son fauteuil et poussa un soupir"), ou bien "tendu, Lemuel se plaque contre le mur et tendit l'oreille").
C'est un style assumé, mais si K. Dick et d'autres auteurs de science-fiction de l'époque essayaient de faire monter leur nombre de mots, une petite phrase d'introduction aurait pu faire cela très bien tout en ayant en plus l'avantage de planter le décor.
Bref, ces nouvelles méritent d'être lues, même si quelques petits textes plus médiocres ou difficiles d'accès rendent l'ensemble inégal.