Les Derniers Jours de Pékin par Gwen21

Séduite il y a quelques années par la plume de Pierre Loti découverte avec "Aziyadé", c'est avec le superbe "Pécheur d'Islande" que je suis tombée amoureuse de sa narration, de son style et de l'évasion que son œuvre procure. Romans ou récits de voyage, Pierre Loti a transmis à travers eux son expérience infinie de la vie.

Avec "Les derniers jours de Pékin", Pierre Loti, officier, nous entraîne à l'issue de la sanglante révolte des Boxers (1899-1901). C'est un récit minutieux, fort, évocateur et terriblement violent qu'il dresse de ce qu'on pourrait considérer comme une guerre mondiale avant l'heure puisque cette révolte a opposé aux ultra-xénophobes chinois et à la dynastie Qing huit forces alliées (Empire britannique, Russie, Japon, France, États-Unis, Allemagne, Italie et Autriche-Hongrie). En plus des victimes militaires on comptera plus de 30 000 chinois chrétiens massacrés et la quasi totalité des Boxers, plusieurs dizaines de milliers.

Mais ce récit autobiographique destiné aux pages du Figaro ne se résume pas à un compte-rendu de campagne militaire, loin de là. Pierre Loti est un conteur. Il a déjà parcouru le monde en long, en large et en travers. Ce qu'il décrit, c'est d'abord la découverte de la civilisation multiséculaire, ancestrale, de la Chine ; il pénètre là où personne n'était autorisé à entrer, dans le secret absolu de la Cité Interdite, le palais du "Fils du Ciel", de l'empereur chinois divinisé. Les descriptions de ce qu'il découvre dans les palais violés sont à couper le souffle et en disent long sur le mode de vie, les protocoles et les croyances chinoises.

Comme dans une incroyable fantasmagorie, Pierre Loti et ses sous-officiers prennent, avec autant de respect qu'il était alors possible, possession pour quelques heures, quelques jours, d'appartements impériaux où tout n'est que soie, ébène, jade, cuivre, or, pierres précieuses, où s'entremêlent les monstres griffus des panneaux, les chimères et les arabesques, les dessins de nuages et de fleurs de lotus.

Le récit est dur à supporter en raison des scènes de tueries et d'exactions ; hommes, femmes, enfants, bébés, vieillards, les Boxers n'ont pas fait dans la dentelle. Tortures, puits empoisonnés par les cadavres, eux-mêmes dévorés par les chiens errants - eux-mêmes qui serviront de repas aux Chinois -, têtes coupées, maisons pillées, corps violentés. C'est le choc cru de la guerre et des victimes civiles qui assaillent le lecteur. Un livre-témoignage précieux mais si dérisoire quand on sait quels conflits mondiaux suivront quelques années plus tard.

Le style de Pierre Loti n'est pas celui d'un chroniqueur de guerre, il est empreint de poésie, de charme pour décrire le beau, le pur et la nature. C'est un dépaysement complet et instructif quoique douloureux.