3 minutes En Direct d’Outre-Tombe – Lucien Rebatet, bonsoir et merci d’avoir accepté de participer au premier numéro de notre émission littéraire « 3 minutes en direct d’outre-tombe » pour nous parler de votre roman « Les deux étendards » dont le franc succès n’est plus à démontrer. Entrons dans le vif, je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles vous écrivîtes ce pavé, ni sur votre parcours personnel, laissons cela aux journalistes des chaines concurrentes si vous le voulez bien. Pouvez-vous nous résumer ces deux étendards en quelques mots ?


Lucien Rebatet - Bonsoir. Michel, étudiant parisien, se destine à devenir un grand écrivain. Son ami Régis, catholique lyonnais, vit une histoire d’amour mystique avec Anne-Marie. Le couple se destine à s’offrir à Dieu : lui veut devenir prêtre, elle nonne. Michel rencontre Anne-Marie, tombe passionnément amoureux, et entrevoit dans le catholicisme une possibilité de salut. Mais ce triolet mystico-religieux tournera mal, du renoncement à l’amour charnel au nietzschéisme émancipateur. Anne-Marie sera prise entre deux feux, elle emboitera le pas à Michel dans un dépassement même du nietzschéisme mais retombera dans les regrets christiques.


3MEDDT – Comment caractériseriez-vous Michel ?


LR - Michel est avant toute lucide. Il sait que Nietzsche lui-même, son plus grand héros de la pensée, était un homme à moustache grotesque, un penseur chétif et solitaire, un client de petites pensions de familles, broutant à tables d’hôtes et trimbalant Zarathoustra dans un sac rapiécé, un jobard risiblement puceau avec les femmes. Les dons les plus magnifiques comportent toujours une rançon obligatoire de débilité, de ridicule, afin que les plus grands de tous soient pliés à la hideuse égalité de la condition humaine. Ce que n’admet pas Régis pour ses propres thuriféraires.


3MEDDT – Et Régis justement ?


LR – Régis de son côté pense avoir reçu tous les talents de l’esprit et la foi la plus sublime pour son œuvre titanesque : rendre une théologie à sa religion, restaurer le christianisme déclinant, lui refaire sa moelle. Pour lui, la dégénérescence de la religion chrétienne explique la maladie du monde privé du contre-monde divin et s’épuisant dans la barbarie du bolchévisme, de l’argent et de la machine. Régis rêve d’une Eglise restaurée, étincelante de toutes ses armes spirituelles.


3MEDDT – Tout semble les séparer, alors que pendant une large partie du roman Michel et Régis restent très proches, proches de la grande fusion même.


LR – Oui, Régis et Michel ont ce point commun, et ils l’auront jusqu’au bout : pour eux, la rencontre de quelques triangles isocèles, tracés d’une équerre soigneuse, n’expliquera jamais la marche de la Nature. A contre-courant de toutes les idées et découvertes contemporaines, ils considèrent que la pensée officielle, disons positiviste pour aller très vite, demeure accrochée, comme à une souche moisie, à un rationalisme et à un scientisme matérialiste aussi fossiles l’un que l’autre, mais qui s’obstinent et s’étayent comme deux vieillards griffus desséchés, radotants et d’une inlassable méchanceté. A leurs yeux, le tout forme bel et bien une nouvelle religion qu’il faut combattre, ayant ses grands prédicants, ses confesseurs feutrés, ses fanatiques, ses puritains et ses tartufes.


3MEDDT – Pourtant ils se déchirent, la conversion de Michel ne se fera pas.


LR – Michel n’est pas de ceux qui tolèrent l’enrégimentement, même sous les drapeaux des plus parfaits nihilistes ! Mais il en souffre, il en souffre parce qu’il comprend que l’homme, compris lui-même, Michel, est si limité, si débile, que devant son univers intérieur, comme devant l’Univers avec majuscule, il n’arrivera jamais à se passer de conventions : le grand nietzschéen est prêt à aller jusqu’au mariage !


3MEDDT – A propos de mariage, vous n’évoquez pas Anne-Marie ?


LR – Anne-Marie figure la plèbe, la masse épaisse prise entre les deux théologies. Son cas ne m’intéresse pas. Elle commet l’erreur répétée et fondamentale de toujours conjecturer la vertu plutôt que le vice.


3MEDDT – En somme vous nous dites qu’Anne-Marie est une victime, et que Michel et Régis des bourreaux.


LR – Oui et non. Michel et Régis se tripotent le subconscient en boucle, à n’en plus finir : ils remuent salement la vase. Et ne serait-ce pas plutôt quand on la laisse déposer que la pensée est la plus pure et la plus claire ? Anne-Marie n’y entend rien, mais elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Elle est de la Société, avec ses bourgeois bouffis, ses prolétaires crasseux, ses stupides professions, son temps gâché, ses mariages ennuyeux. Où qu’on aille, on n’emporte que soi, pauvre Anne-Marie.


3MEDDT – De nombreuses pages sur la musique, la littérature, la peinture.. les arts occupent une place majeure chez les étendards.


LR – Oui, Régis est un pianiste accompli et Michel prend chaque jour de fortes lampées de prose classique, Rabelais, Retz, Saint-Simon, Diderot etc, pour faire des muscles à sa phrase, la purger de tous les excréments d’Université. Concernant la musique, c’est Bach et Wagner surtout, Bach qui, en parlant la musique, parle la langue maternelle de la musique. Régis et Michel comprendront que les compositeurs français la parlent comme s’ils l’avaient apprise à l’école.


3MEDDT – Trois minutes déjà, nous devons conclure, Lucien Rebatet. De quoi votre roman « Les deux étendards » est-il le nom ?


LR – Du fatum, de la destinée quoi ! La vie est singulière par son absence même d’éclat. Tout ce qui compte s’y accomplit sans que nous nous en doutions. Et pour finir, Anne-Marie nous dit que l’homme n’est pas guérissable de dieu.


3MEDDT – Eh bien, chers auditeurs, il nous reste à remercier chaudement Lucien Rebatet pour sa participation à notre émission « 3 minutes en direct d’outre-tombe » ! La semaine prochaine nous recevrons Rika Zaraï pour son essai « L’espérance a toujours tort ». Bonne nuit à tous.

-Valmont-
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le 18 déc. 2019

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