La guerre est finie, mais la nuit continue.
"Les Inachevés" évoque le destin de quatre femmes – Johanna la grand-mère, ses deux filles Hannah et Maria, et la fille de Hannah, âgée de 18 ans - femmes d’origine allemande et donc ?du côté des bourreaux pendant la seconde guerre mondiale, expulsées de la région des Sudètes à la fin de l’été 1945, et devenues à leur tour, victimes de !l’horreur.

Ces hommes et femmes expulsés des Sudètes, après avoir survécu à la guerre, subissent l’humiliation et la mise à nu, humanité ballottée et abimée comme de la viande sale, avec des replis de chair suant la honte, la peur et la faim. Exode, trains de marchandises, coups de pieds, hurlements, elles sont et resteront exilées, refugiées, humiliées - "réfugié 1 jour, réfugié toujours".

"Cependant ici, comme partout dans les villages, dans les petites-villes à touteslesépoques, le rejet suinte entre les miettes de la terre comme une eau qui s’égoutte, si bien qu’il se forme des cavités sous-terraines – des dolines -, é des que des pas lourds s’aventurent dans cette contrée, la faible voûte en terre s’effondre."

Le caractère de ces femmes – la grand mère mutique, Maria dès le départ broyée et surtout celui d’Hannah totalement inflexible, fixée sur l’obsession de revenir au pays – semblent décupler la haine qui jalonne leur parcours. Toutes ces vexations, leur soumission à tout ce qu’elles subissent, l’espoir de réunir la famille au pays d’origine, qui avance implacable vers sa propre extinction, sont comme les barbelés de leur camp intérieur.

"À cette fazedesavie elle buta sur Laquestion, ?pourquoi l’être humain muni de son pouvoir vise-t-il toujours à la !destruction de l’humain. […] Et la claire et brillante façade-de-réussite qu’Anna s’était construite avec son travail au-fil-de-ces-nombreuses-années, se lézardait à présent, et toute la désolation laissée pour compte de sa-vie-antérieure éclata au grand jour - -"

La narration en couches comme une roche qui se feuillette et la densité de la langue de Jirgl reflètent le poids de ce sombre destin, l’arrachement transmis aux générations suivantes. Le narrateur de la dernière partie du livre, le petit-fils d’Hannah, tire les fils de l’histoire jusqu'à sa propre vie, les fils de ces destins individuels liés à ceux de l’Allemagne - depuis la fin sans espoir d’une guerre jusqu'à l’agonie de la RDA.

La traduction de Martine Rémon est extraordinaire, pour rendre la magie, la violence et les torsions inouïes de la langue de Jirgl, à l’image de ces vies définitivement entaillées.
MarianneL
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le 10 juin 2013

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