Catherine Morland, héroïne de Northanger Abbey (de Jane Austen) tremblait de peur en lisant "Udolphe", un roman "gothique" comme c'était la mode à la fin du XVIIIème siècle … J'en étais resté là, n'éprouvant pas spécialement d'intérêt pour ces romans gothiques. Et puis ma fille, friande d'histoires de fantômes m'a amené le livre d'Ann Radcliffe, auteur non d'Udolphe mais des "mystères d'Udolphe" en me lançant un laconique "toi qui aimes Austen, ça devrait te plaire".

Me voici donc, après la lecture de 868 pages (édition Folio) dont on ne peut quand même pas dire, de nos jours, que c'était à ce point terrifiant.

Donc premier intérêt : voir à quoi ressemblent ces fameux romans gothiques …

Deuxième intérêt : on suit les aventures d'une belle jeune fille, Emilie Saint-Aubert, pure et éprise de poésie. Elle partage l'amour de la nature avec son père qui est un être non pas naïf mais plutôt idéaliste avec lequel elle entretient une relation, on dirait aujourd'hui, fusionnelle. Dès sa rencontre avec un jeune homme, bien sur lui, poète et musicien, Valancourt, elle tombe passionnément et irrémédiablement amoureuse. Les coups de Trafalgar et les retournements de situation ne vont pas manquer dans le roman maintenant l'intérêt du lecteur sur tous les coups du sort qui s'abattent sur elle et sur Valancourt.

Troisième intérêt : c'est la découverte d'une nouvelle romancière anglaise. En effet, pour une raison que je ne m'explique pas vraiment, j'avoue beaucoup apprécier les romans anglais d'Austen ou des sœurs Brontë (ou encore, de la plus récente Daphne du Maurier). Alors que ce n'est pas du tout le cas des romancières françaises du XIXème ou début XXème avec lesquelles je m'ennuie mais je m'ennuie (euphémisme) ou dont les sujets ne m'intéressent guère …

Une surprise : Ann Radcliffe étant une romancière anglaise, je m'attendais à ce que l'action se passe en Angleterre ou tout au moins au Royaume Uni où les châteaux gothiques et pleins de mystères ne manquent certainement pas. Eh bien non, ça se passe dans cette douce région de Gascogne, du côté de Toulouse et au bord de la Garonne avec une incursion (qui dure quand même plus de la moitié du roman) en Italie à Venise et dans un château, bien gothique, lui, Udolphe de son nom, au milieu des Appenins.

Là, je viens d'appliquer la méthode de management qui consiste à caresser dans le sens du poil l'œuvre avant de passer à l'analyse détaillée, parfois un peu moins sympa.

On pourrait aborder la longueur de l'ouvrage qui, je pense, aurait pu être sacrément raccourcie sans que cela ne se voie sur le déroulé du roman.

D'abord, le roman n'en finit pas de commencer. Il faut bien une petite centaine de pages pour décrire le milieu familial d'Emilie entre la mère qui tombe malade et meurt, le père pris de langueurs à qui on recommande de faire un petit voyage et les démêlés avec le reste de la famille qui sont des gens à forte tendance cupide ou futile. Ce n'est que vers la page 90 qu'on voit arriver le bienvenu Valancourt et qu'on se dit que l'action va pouvoir enfin se lancer. Sans se précipiter.

Parce qu'il y a quelque chose que je n'ai pas encore dite ; c'est la capacité incroyable et démesurée lacrymale d'Emilie. Mais où va-t-elle chercher toutes ces larmes ? Un rien et hop ! elle pleure. Une contrariété et c'est un torrent. Une petite joie et elle pleure. Un souvenir et la voilà qui repleure. Et puis, si encore elle se contentait de pleurer mais non, c'est qu'elle s'évanouit aussi quand la crise est un peu forte. Et quand elle retrouve ses esprits, que fait-elle ? Elle repleure un p'tit coup, histoire d'y voir plus clair. À sa décharge, c'est vrai qu'il lui en arrive, des tuiles, vertes et pas mûres. Son père sur son lit de mort a la lumineuse idée de confier sa fille encore mineure à une tante, qui s'avère être une femme très, très désagréable. Coquette et salope. Mais voilà-t-y-pas que cette tante s'amourache d'un bel italien, Montoni, qui va s'avérer être un fieffé salaud uniquement intéressé par la galette de la tante. C'est dans ces conditions qu'Emilie va se retrouver en Italie… où le Montoni ne va rien trouver de mieux à faire que de vouloir marier (vendre ?) Emilie au plus offrant. Je ne vous dis pas le nombre d'occasions pour Emilie de pleurer toutes les larmes de son corps en pensant à son Valancourt qu'elle a laissé, connement, sur le bord de la route en France. Et entre deux crises de larmes ponctuées par quelques évanouissements, elle tergiverse : ira-t-elle ? ira-t-elle pas ? Signera-t-elle ? Signera-t-elle pas ?

Oui, mais qu'y a-t-il de gothique dans tout ça, alors ? Notre héroïne, qui finalement échappera au mariage, va être enfermée avec sa tante dans ce château, Udolphe, par mesure de rétorsion. Le château est une forteresse médiévale avec des couloirs secrets, des escaliers impressionnants et des chambres étranges, des oubliettes. Une légende sur une précédente propriétaire, qui a disparu mystérieusement, alimente les craintes et les fantasmes (à défaut de fantômes) liés sur les activités pour le moins délictueuses et les menaces de Montoni. On peut dire qu'Ann Radcliffe sait ménager un certain suspense dans cette partie dans la mesure où elle laisse planer un doute sur les intentions réelles de Montoni à l'intention de la tante et d'Emilie.

Ah oui ! Il y a un détail - sans importance - qui m'a bien amusé dans le roman, ce sont les connaissance erratiques et sommaires d'Ann Radcliffe en géographie. Pour aller de la région de Toulouse vers le Roussillon, elle nous fait passer par les Pyrénées : ok, c'est l'occasion de belles descriptions de montagne mais je me disais que si le père d'Emilie était si malade, il y avait quand même plus simple comme itinéraire. Et puis peu avant d'arriver en Roussillon, Ann Radcliffe annonce Arles et là je dis non. Une autre fois, Emilie s'éveille dans un château en Languedoc proche de la mer, ravie du ciel "provençal" et là, aussi je dis non. Et je ne compte plus le nombre de fois où on a affaire à l'océan au lieu de la mer méditerranée. Alors que c'est si simple de faire un petit coup de google voire de google map … Ah, on me dit que Google n'existait pas au XIXème, alors autant pour moi, Ann Radcliffe est tout-à-fait excusée…

Bon, au final, je ne regrette pas d'avoir lu ce livre qui est la découverte de ces fameux romans gothiques. Après nous avoir bien fait patauger dans tous ces mystères entourant la vie d'Emilie, Ann Radcliffe ne se fait pas faute de tout nous expliquer dans le détail. Et j'avoue qu'il y avait (au moins) un point pour lequel je ne voyais pas où la romancière voulait en venir et qui m'a bluffé par sa simplicité …

Ceci étant dit, je ne suis pas sûr de vouloir retenter l'expérience du roman gothique…

JeanG55
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le 1 mai 2023

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