Eloge de la fiction

Conclusion ( ?) de ce qui est devenu une série à succès ces dernières années, « Les producteurs » est un succès au même titre que les deux précédents opus de trilogie. Poursuivant le travail entamé avec « Eloge de la pièce manquante », fiction curieuse racontant une série d’évènements se déroulant autour d’une fictive organisation internationale de jeux de puzzle (et ressemblant furieusement au succès du poker d’abord à la télévision puis sur internet), le bouquin était ce que Sliv Darthunger, le héros de la trilogie et ses confrères du Comité de falsification du réel appelleraient un « Dossier ». Difficile à mettre en place puisque se plaçant temporellement trop proche de nous et avec une série de distorsion de la trame de la réalité bien trop complexe, mais un dossier tout de même.

En effet, le premier plaisir des falsificateurs, des éclaireurs et enfin des producteurs se situe bien dans cette constitution insensée de dossiers visant à altérer la réalité. Et si l’histoire fonctionne c’est avant tout parce qu’il est bien compliqué d’essayer de distinguer une ligne directrice entre les différents essais dont il nous est fait part : quel rapport entre le Timor oriental, une carte du Vinland, les Bochimans ou un film unique d’un réalisateur allemand oublié ? La liberté donnée aux agents du comité est telle que la question du but final nous prend comme elle obsède le héros au fil des deux premiers tomes.

Le troisième, une fois la révélation de l’essence de l’existence du CFR prend une tournure différente mais reste articulée autour de la création et de la réalisation d’un dossier, l’ampleur augmentant elle progressivement avec les responsabilités prises par Sliv. C’est diablement efficace mais n’est qu’une des facettes qui composent l’œuvre. Ainsi, la réflexion autour des sources, de la multiplicité des canaux d’information, de la légitimité du savoir, de la révolution qu’entraine le passage au tout numérique (pas seulement pour les archives mais également pour les possibilités de traitement, de calcul, de tri sans égales que permettent les ordinateurs modernes, ou la rapidité de diffusion des informations et la difficulté de les contrôler pour le meilleur et pour le pire) fait écho aux évènements nouveaux du XXIe siècle que sont les lanceurs d’alerte de Wikileaks à Snowden, ou encore l’impact de l’accès à internet et aux réseaux sociaux pour des tournants comme les printemps arabes ou de manière plus générale pour les populations vivant sous des régimes autoritaires.

Antoine Bello, sous couvert d’une histoire riche en sensation en forme de thriller planétaire autour de la distorsion de la réalité, nous parle du monde interconnecté dans lequel nous vivons désormais et nous pose la question de la pertinence des informations, de ce qui fait date dans une époque toute vouée à l’immédiateté.
C'est aussi une déclaration franche à la fiction et au pouvoir magnifique qu'a l'humanité de se raconter des histoires, sur la permanence toute relative des souvenirs et notre capacité à nous mentir à nous-même.