Le roman suit quatre personnages.
Il y a Craig, étudiant qui entre à l'université de Godwins, sûr de lui, prétentieux, l'exemple du favorisé qui méprise tout. Et qui n'a rien à faire là, puisqu'il n'a pas le niveau scolaire pour entrer en université ; mais comme papa est le pote du doyen...
Perry, son coloc' en résidence universitaire, qui vient d'un milieu tout différent et qui est arrivé là à la force de son travail.
Mira, professeur qui tente de concilier son couple qui part en miettes et son travail à l'université, où elle anime un cours sur la mort et l'au-delà.
Shelly, qui a un travail administratif, toujours dans cette même université.
Quatre personnages qui vont être unis par un événement tragique, la mort d'une étudiante, Nicole Werner. Craig en sera le responsable. Shelly sera le premier témoin présente sur les lieux de l'accident.


Le roman va tourner sans cesse autour de cet accident, sans jamais le décrire d'ailleurs. On en parle sans arrêt, il semble que toute la vie de l'université va s'organiser autour de lui. Par une savante construction, qui paraît bordélique de prime abord pour en fait s'avérer très réfléchie, nous allons passer constamment d'un personnage à l'autre, mais aussi d'une époque à l'autre, alternant l'avant et l'après accident, insistant sur les conséquences, les traumatismes.
Tout cela dessine une sorte de cercle concentrique se rapprochant interminablement de l'accident sans jamais nous le décrire, comme un mouvement asymptotique. Comme une impossible quête de vérité également.
Car outre le drame se dessine aussi le contour d'une enquête entraînant ces personnages à revivre l'accident. A le décrypter. A l'étudier, le disséquer. En quête vaine d'une vérité unique.


Mais le roman ne se limite pas seulement à cela. Par une narration maîtrisée, Laura Kasischke plante sur l'ensemble une ambiance de mort. Une ambiance à la limite du surnaturel, où tout paraît possible.La mort est omniprésente dans cette université (dont les bâtiments portent des noms d'anciens étudiants décédés). La professeur qui emmène ses étudiants visiter une morgue. Les groupes gothiques qui cultivent un goût du macabre en se donnant rendez-vous dans des cimetières et en s'allongeant nus sur des tombes.
L'auteur emploie aussi des images qui participent de cette ambiance à la frontière du surnaturel. La maison de la sororité OTT (Omega Theta Tau), qui se dresse au sommet d'une petite colline, et qu'on devine dans le noir comme un château dans un roman d'Ann Radcliffe. Le corbeau empaillé dans le bureau du doyen. La neige qui recouvre tout le paysage et qui semble figer le monde, comme si tout était déjà mort.
Car c'est bien là une partie du propos, et pas la moins intéressante dans ce livre : la mort semble envahir tout l'univers des vivants. Oh ! ce n'est jamais dit aussi clairement que je vens de le faire, c'est distillé tout au long des 588 pages du roman, et pourtant la frontière entre la mort et la vie, entre notre monde et l'au-delà, ne paraît plus très étanche. Les morts semblent partout. Et comme Craig ou Perry, qui croient voir Nicole en chaque jeune fille qu'ils croisent, de même la narration dessine chaque étudiant comme une sorte de fantôme. Et l'université dans son ensemble, qui est un personnage à part entière, devient une sorte de nécropole au sens propre du terme, une ville des morts.
Là aussi, l'organisation et l'alternance passé-présent influe beaucoup sur cette atmosphère à la limite du surnaturel. brouillant la temporalité, l'auteur rend le personnage de Nicole quasiment immortel.


Les Revenants est aussi, bien évidemment, un roman sur le deuil. Là aussi, cette alternance passé-présent montre comment le passé envahit le présent, comment la mort d'une personne et son deuil paraissent figer l'univers et l'empêcher d'avancer.
La très courte dernière partie, qui sert de conclusion, montre bien que les personnages vivent dans le passé, que leur vie est régie par les souvenirs. Ce sont les souvenirs des disparus qui gèrent leurs actions. Ce sont eux aussi qui peuplent le monde.
Si les morts sont des revenants, c'est peut-être sous forme de fantômes, mais c'est sûrement sous forme de souvenirs. Des souvenirs mi-joyeux mi-douloureux.


Outre cela, qui semble être l'élément principal du roman, on peut également y lire, d'une façon assez claire, une critique du fonctionnement des universités aux USA. des universités plus intéressées par leur renommée et leur image bien propre que par ce qui s'y déroule, en particulier entre élèves. Et le système, typiquement américain, de fraternités/sororités est clairement attaqué par l'auteur.
Là-dessus, je n'en dirai pas plus pour ne pas en dire trop.
Nous avons donc un roman superbement écrit (mais que je soupçonne d'être mal traduit par contre : certaines phrases ne veulent pas dire grand chose, certains mots semblent déplacés... il faudrait le lire en VO, un jour), avec une narration parfaitement maitrisée et une organisation très précise. Une belle découverte (merci médiathèque) choisie complètement au hasard, et un auteur que je vais suivre désormais.

SanFelice
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le 27 août 2015

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SanFelice

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