James Stevens est le majordome d’une ancienne et prestigieuse maison, Darlington Hall. Fier de ses compétences et convaincu d’être un très bon professionnel, il voit néanmoins son monde changer à la mort de son employeur. La maison est alors rachetée par un riche américain aux méthodes bien différentes. Bénéficiant pour la première fois de sa vie de six jours de congés, il part en voyage pour revoir Miss Kenton, une ancienne gouvernante de Darlington Hall. Son voyage va être l’occasion de revenir sur sa vie, ses choix et d’accepter que les choses puissent changer.


L’ambiance des vieilles et nobles maisons anglaises nous est bien décrite et on retrouve un peu de Downton Abbay par moments. Mais très vite, sous la froideur de Steven, on comprend les malaises et la noirceur cachés sous une apparente dignité. Steven a une haute idée de sa profession et la fait passer avant toutes autres considérations. Il tend à servir son maître avec le plus d’efficacité et de loyauté possible. Froid et austère, il laisse peu de place pour ses émotions. Il est le narrateur du livre mais nous laisse que très peu percevoir ce qu’il ressent. Plein de retenues, il se contente d’énoncer les faits en laissant à peine poindre certains regrets ou certaines déceptions. Il amorce un questionnement sur ses choix. Mais il se refuse à remettre en cause sa loyauté envers Lord Darlington. Cela en fait un personnage passionnant et réaliste. Ce sont les non-dits et les sous-entendus du discours de Steven qui créent le sens. On comprend, sans que l’auteur n’est besoin de l’écrire, les failles et les impasses des valeurs de ces nobles familles anglaises.


En effet, Lord Darlongton tient entre les deux guerres une position ambiguë qui poussera Stevens à licencier deux femmes de chambres juives. En plaçant au dessus de tout les valeurs de dignité et de sang froid, il se questionne que très peu sur les choix politiques de son maître. Témoin privilégié des rencontres et des discutions de ce dernier avec les puissants de l’époque, il se contente de les raconter. Il sait l’admiration de son maître pour Hitler mais ne se permet pas de le juger. Il regrette seulement que ces affaires aient ternies la réputation de son maître à la fin de sa vie. Miss Kenton est la seule qui va essayer d’ouvrir les yeux de Stevens, mais en vain.


L’austérité de Stevens est, pour nous lecteurs, non dénuée d’humour. On pourrait citer le moment où il lui a demandé d’enseigner à un futur époux la sexualité. Les dialogues entre ces deux personnages qui n’osent nommer les choses sont irrésistibles. On sourit également aux interrogations que Stevens se pose face au badinage de son nouveau maître américain. Peut habitué à l’humour, il ne sait comment se comporter face aux mots d’esprits de ce derniers.


C’est le portrait d’une société qui décline mais aussi d’un personnage qui passe complètement à coté de sa vie d’homme. La difficulté de Miss Kenton à tenter de se lier à lui en témoigne. C’est touchant et extrêmement bien écrit. De manière minimaliste l’auteur nous décrit un monde qui disparaît. Maniant les silences et le décalage entre le narrateur et le lecteur, Kazuo Ishigoru propose une autre vision de la société anglaise de l’entre-deux-guerres, plus ambiguë et plus réaliste sans doute.

Anaïs_Alexandre
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le 23 oct. 2017

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