« J'ai toujours dit que cette terre était sanglante. Comment imaginer que nous pouvons détruire toute une race d'hommes sans en payer le prix ? »
Comme dans tout bon polar, Lumière du monde est d'abord le produit d'une terre, d'un terroir particulier. Cette fois-ci, James Lee Burke entraîne Dave Robicheaux, son flic cajun, des marais infestés de Louisiane aux grandes plaines du Montana. Territoire splendide délimité par de somptueuses montagnes. Mais territoire pris aux « native americans » au prix d'un massacre qui s'assimile furieusement à un génocide. Terre baignée du sang de ses habitants (il est d'ailleurs intéressant de constater que de nombreux personnages du roman sont des Indiens, ou des métis partiellement Indiens). Lieu idéal pour un combat qui relève de la mythologie.
Car le monde dans lequel évoluent les personnages de Lumière du monde est constamment à la frontière du surnaturel. Les démons vivent dans les grottes, et le combat final prend des allures d'apocalypse. La force de l'écriture de Burke fait de ce roman noir un livre quasi-surnaturel, à la frontière entre plusieurs genres.
Les personnages nés ici semblent s'être abreuvés de ce sang. Au fil de la lecture de Lumière du monde, on va de violence en violence, dans un monde où la mort et le mal paraissent régner en maître. Burke parvient à nous faire ressentir une Amérique de la haine et de la brutalité la plus sauvage. Même la nature, pourtant splendide, regorge de loups et de grizzlis, de carnassier qui menacent le bétail. Cette même menace permanente plane sur les personnages, dès la première page.
Dave est donc dans le Montana en « vacances » chez un ami écrivain et universitaire, avec sa femme Molly et sa fille adoptive Alafair. Laquelle va, dès le premier chapitre, se faire tirer dessus alors qu'elle courait dans les bois. D'emblée, la nature s'associe à la violence et à une réflexion sur le Mal. « Je suis persuadé que la fable de la pomme cueillie sur l'arbre défendu est une métaphore destinée à nous garder de scruter trop profondément les tendances les plus sombres de l'âme humaine. »
Et nous voilà donc, dès le second paragraphe du roman, dans ce qui en sera le thème majeur : la présence du mal qui inonde le monde. Un mal terrible, abject. Tout au long du roman, Burke va se plaire à déconstruire le mythe du serial killer et son image trop romancée pour en donner une version où ne subsiste que l'aspect malsain.
Un mal qui est décrit comme une maladie qui contamine tout ce qu'il approche. Petit à petit, Burke va tirer partie du rythme lent de sa narration pour décrire comment la mal va pourrir progressivement les personnages. Les entraîner dans son sillage. Les faire plonger à leur tour. Tous les personnages, sans exception, ont été victime, de près, voire de très près, de violences. Et finalement, la frontière qui sépare les « héros » des criminels est tellement mince qu'elle s'efface complètement (voir le personnage de Gretchen, par exemple).
Le monde décrit dans le roman est sauvage, barbare. Les hommes sont seuls face à la nature et se comporte en laissant aller leur caractère sauvage. Ici, pas de civilisation. La justice se confond avec la vengeance. Les autorités sont, au mieux, incompétentes, voire corrompues. Au point que l'auto-justice paraît presque justifiée.
Sinon, Burke dresse là un roman noir en jouant plutôt habillement avec les codes du genre. Chaque personnage type du genre est présent, mais son statut est toujours mis en doute. La femme fatale en est-elle vraiment une, ou est-elle une victime (ou les deux) ? Le richissime magnat du pétrole est-il forcément le méchant ? Le mari violent est-il autre chose qu'un simple idiot lâche et impuissant ? Le serial killer est-il seulement encore vivant ?
On pourrait éventuellement reprocher au roman sa longueur excessive (660 pages). Parfois, on se demande un peu quel peut bien être l'intérêt de tel ou tel chapitre. Mais finalement Burke parvient à installer une ambiance glauque, à la faire découler logiquement du contexte socio-géographico-historique, et à faire un vrai roman noir.
Très noir.


[7,5]

SanFelice
7
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le 24 janv. 2018

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