Le livre m’est tombé dessus le lendemain de sa parution, c’est-à-dire quelque chose comme le 19 octobre 2023, et j’insiste sur le fait que ce soit lui qui me soit tombé dessus et non l’inverse.

En effet, j’avais tellement abreuvé mon entourage d’éloges à son sujet que sitôt le chef d’œuvre délivré des presses métalliques, une âme bienveillante me le jeta sur le lit, amusée par mon air incrédule.

La couverture montrait le visage rose d’un homme fixant l’objectif invisible du photographe, nous donnant l’illusion d’être observé -assez platement il faut bien le dire- par notre astronaute national. Il ne souriait pas, riait encore moins sans être pour autant triste ou en colère. Ses yeux clairs regardaient un horizon inconnu avec l’expressivité d’une endive au fond d’un saladier.

Je me gausse, comme à mon habitude car je ne sais pas voler dans l’espace et il est bien connu que ceux qui ne savent pas faire, souvent se moquent.

Pourtant Ma vie sans gravité est l’histoire d’un esprit supérieur parti visiter un ailleurs que bien peu de voyageurs peuvent se glorifier d’avoir exploré et cet esprit a la face tranquille du voyageur toujours certain de regagner son Ithaque. Ita sit.

Pour ceux qui se feraient des idées, je ne voue pas spécifiquement un culte à Thomas Pesquet ni à son regard azur, par contre, je m’interroge depuis fort longtemps sur le parcours d’un recrutement à l’ESA. Comment peut bien se dérouler une sélection aussi exigeante ? Comment choisit-on un futur astronaute parmi 8413 dossiers de candidatures? Comment vit-on à bord de l’ISS ? Quelle somme astronomique (c’est le mot) de savoirs faut-il ingérer avant de pouvoir se dire prêt à partir ?

Le livre répond à ces questions (évidemment, vous n’aurez pas tout le détail mais cela vous donne une bonne idée), avec une batterie de tests tous plus pointus les uns que les autres : orientation spatiale, mémoire, déductions, réactivité et coordination, résistance au stress, tests psychologiques, QCM en 1200 questions, entretiens individuels, mises en situation, sélection médicale draconienne…).

Antérieurement à cette étape, Thomas Pesquet retrace ses origines, son milieu familial, puis son parcours, sa formation initiale (Maths Sup Maths Spé, Supaéro, CNES, les cadets d’Air France) et semble enchaîner les étapes avec un mélange de travail acharné, de détermination et … de facilité déconcertante. Eh oui, on ne fait pas trop dans le nigaud à l’ESA.

Le pilote de ligne/ astronaute acquiert ainsi au cours du temps (en plus de tous ses précédents diplômes) des qualifications sur Airbus A320, A310, A350 avec l'aisance d’un végétarien achetant ses pignons de pin au marché bio, si bien que finalement sa vie professionnelle dessine déjà la trajectoire parfaitement verticale d’une fusée bien décidée à rejoindre l’ISS.

Au-delà de l’aventure extraordinaire, Thomas Pesquet use de pédagogie pour nous décrire à quoi ressemble la vie hors de notre planète, là où les lois de notre physique élémentaire ne s’appliquent plus – ce qui est, pour le simple mortel ordinaire avec sa brosse à dents dans une main et son tube de dentifrice dans l’autre, assez complexe à imaginer. Ainsi tout là-haut, dans cet hiver noir sans début et sans fin, pas d’atmosphère, pas de son hors de l’ISS, pas d’air évidemment, la pression au dehors est de 0 bar. Tout chauffe et tout refroidit intensément, tout brûle ou gèle (comme dans le poème de Louise Labé). L’air fabriqué au sein de la station est le même que celui sur Terre, composé principalement d’azote et d’oxygène mais, spoiler : comme il n’y a pas de VMC, il doit donc pouvoir être recyclé et réutilisé.

Des exemples simples nous rappellent la difficulté de vivre dans un milieu aussi inadapté à notre condition et ce malgré l’ingénierie de haute volée développée ces dernières décennies pour rendre la vie à bord de l’ISS possible. Des actions quotidiennes basiques comme manger, se brosser les dents, se laver, faire du sport, tirer ou pousser quelque chose en apesanteur deviennent complexes (et allez donc faire un massage cardiaque à bord de la station!) et sont à repenser intégralement, du genre : tout ce qui fait des miettes pourrait ruiner la ventilation mécanique à bord de l’ISS – vous pouvez oublier les biscottes et ranger les Chocapic. Avez-vous déjà mis la table avec des velcros sur votre fourchette ?

Ces contraintes basiques pour les astronautes car acquises comme des réalités depuis longtemps disent le miracle constant que représente l’envoi d’un être humain dans l’espace, de l’y envoyer en sécurité, de le maintenir en sécurité durant les mois de sa mission et de le faire revenir en vie en un seul morceau, avec en parallèle un large panel de missions scientifiques à accomplir pour mieux répondre aux interrogations que pose toujours la science, le tout en travaillant sur l’architecture de l’ISS qu’il convient de gérer dans sa maintenance quotidienne.

On notera la capacité du narrateur à cerner rapidement ses interlocuteurs et son ton relativement distancié aux événements, avec un accès très mesuré aux émotions intenses.

Quelques euphémismes parsèment ainsi le livre, tel que « je jongle », en lieu et place de « je souffre, ça me fait un mal de chien cette affaire » et autres antiphrases du genre « Je suis absolument ravi », en lieu et place de : « ça me les brise ».

Plusieurs fois, le lecteur empathique que nous sommes (ou pas) se prend à compatir sincèrement au sort d’Anne pour toutes les épreuves que ce parcours hors-normes lui impose alors qu’elle cherche simplement à passer un peu de temps auprès de l’homme qu’elle aime. Beaucoup de sacrifices, j’en connais qui auraient jeté l’éponge bien avant…Pesquet est honnête et raconte sans fard la difficulté de leur relation, cette géographie des opposés (La diagonale Toulouse-Merville) avec des carrières respectives brillantes mais rigoureusement différentes.

Hélas ou heureusement, les destins hors-normes possèdent en eux une force inébranlable, ils se réalisent quoi qu’il puisse advenir et tout le reste, y compris les proches deviennent accessoires de cette destinée, ils gravitent autour d’elle, sont témoins de sa réalisation et - au mieux - contribuent à celle-ci mais ils ne peuvent pas y faire obstacle (exactement comme Murphy dans Interstellar, incapable d’empêcher Cooper de partir).

Ma lecture fut globalement ponctuée de «Oh mon dieu! » et de « mais c’est pas vrai ! » car un être humain dans le vide absolu en équilibre sur un bras robotisé, ce n’est vraiment pas rien.

J’ai lu le livre en deux jours : un style fluide, une pointe d’humour, une bonne structuration de la chronologie (on est « tatasse » ou on ne l’est pas) rendent la lecture aisée et passionnante.

J’envie Thomas Pesquet pour l’intelligence qui lui a été donnée mais surtout pour ce qu’il en a fait, pour sa capacité à vouloir aller toujours plus loin sans chercher à écraser les autres, pour sa volonté de fer (tant dans son travail acharné que dans sa capacité à se faire des lavements intestinaux tout seul).

Plus sérieusement, je n’ai aucun doute sur le fait que Ma vie sans gravité se soit retrouvé sous un grand nombre de sapins durant ce Noël.

Si ce n’est pas le cas et que vous vous sentez comme la petite vendeuse d’allumettes devant la vitrine de la Fnac ou d’un libraire indépendant, je ne peux que vous conseillez de remédier à cet oubli impardonnable et de courir l’acheter !

Proximah
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le 20 janv. 2024

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Proxima

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