Comment être femme et maîtresse de son destin ?

1856, Normandie. Un nouveau romancier, Gustave Flaubert, écrit un livre sur une femme mal mariée et dépressive, élevée dans un couvent et forgée dans la fiction. Emma souffre. Elle souffre d’un désir insatiable, d’une impardonnable envie de vivre qui la conduira à l’adultère, à la ruine et au suicide.


Comment être femme et maîtresse de son destin ?


Voici la question à laquelle Emma va tenter de répondre dans ce grand classique que Flaubert a mis 5 ans à écrire. Rappelons le contexte : au XIXème siècle, une femme qui trompe son mari risque la prison. Pour la même faute, un homme devra s’acquitter d’une amende infime. Scandalisé par cette société à deux vitesses, Gustave Flaubert fait de Madame Bovary l’emblème féministe d’une époque impitoyable pour la femme. Il s’en prend à toutes les valeurs de l’époque : la loi, l’Église, la science, la vie même.


Et son roman ne passe pas inaperçu. Dès sa publication, la loi demande des comptes à Flaubert. Accusé de célébrer la “poésie de l’adultère”, il répond :


“Il y a de l’immoralité à bien écrire. Ce n’est pas mon roman qu’on attaque, mais tous les romans, et avec eux le droit d’en faire.”


Flaubert n’a jamais voulu modifier la société qu’il dépeint, ni revendiquer une quelconque morale ou modèle politique. Au contraire, son ambition était de faire un livre sur rien. Véritable artisan du verbe, il considère que la beauté formelle du roman doit transfigurer la médiocrité du sujet. En écrivant “Madame Bovary”, Flaubert s’infiltre dans l’écriture. Il vit chaque scène avec une intensité rare, allant jusqu’à faire des crises lorsqu’il écrit le mot “attaque de nerfs”, ou encore sentir le goût de l’arsenic dans sa bouche lors de l’empoisonnement d’Emma.


Le roman rencontre un succès phénoménal, en partie lié à la médiatisation de son procès, mais aussi parce qu’il raconte les rêves des jeunes filles de l’époque. Muselée par la société, la femme du XIXème siècle est socialement liée au romanesque et devient le public phare des romanciers. Flaubert met d’ailleurs en garde contre la malignité des romans et du rêve, il raconte la réalité parallèle qu’Emma s’est construite et qui la conduira à sa perte.


Une chronique ne suffirait pas à dépeindre toute la magnificence de l’œuvre et des ambitions littéraires de Flaubert. J’y consacrerai donc un portrait d’auteur plus tard. En tout cas, « Madame Bovary » fut une découverte formidable. Avec ce premier roman, Flaubert devient le parangon du bon style éditorial et du roman moderne, reconnaissance très largement méritée. J’ai été totalement transportée par l’écriture : chaque mot, phrase, paragraphe, scène, chapitre, est porté par la plus haute exigence littéraire.


J’ai également été très touchée par la détresse d’Emma. Je n’ai d’ailleurs pas réussi à la haïr. Alors oui, c’est elle qui se marie à un homme qu’elle n’aime pas. C’est elle qui dilapide toute sa fortune, et c’est encore elle qui enchaîne les aventures désastreuses. Au fil du récit, elle perd toute notion de la réalité, n’apprend jamais de ses erreurs et n’évolue pas. Mais pour moi, Emma est avant tout une femme née au mauvais endroit, au mauvais moment. À une époque où aucune d’entre nous n’aurait aimé grandir.


“Madame Bovary” est une ode à la littérature, à l’amour et à la révolte. Un bijou.


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ElodieAngiolini
9
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le 22 juin 2022

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