Malevil
8.1
Malevil

livre de Robert Merle (1972)

Je dois bien avouer qu'il m'est toujours plus difficile de m'adonner à l'examen d'une œuvre que j'admire et dont je raffole sans limite qu'à celui d'un étron monumental, et cela je crois pour deux raisons : la première étant que je remarque sans peine ce que je n'aime pas dans une œuvre et que l'affirmer pour ce qui est du contraire serait menteur. J'ai bien souvent une sensation affriolante mais dont j'ai du mal à exprimer le corps au travers du langage. Ainsi, adepte de la convocation de Boileau, je me suis contraint à cet exercice enfin de compte plaisant. La deuxième raison que je désire avancer est la perception de la petitesse de mon travail face à l’œuvre magistrale que la vie m'a donné la chance de contempler. C'est donc pour tenter de discourir sur le roman de Robert Merle que je me permets d'écrire ces quelques lignes. Alors au fond, je devrais certainement commencer par les défauts de cette œuvre mais comme sur ce point je ne saurais que dire, je m'abstiendrai de m'étendre d'une quelconque façon sur cela et m'empresserai de commencer ce modeste éloge. Malevil, épopée dramatique m'ayant transporté tout le long de ses 600 pages dans une France rurale encore bercée entre tradition et modernité, ainsi que journal pouvant devenir commensurable au doux sommeil où les mots s'écoulent tel les flots tranquilles sur le lit de la rivière sans qu'ils ne perturbent le radeau par leurs vagues lancinantes. Un livre babillard, certes, mais fondamentalement dynamique et où les longueurs se font rares. Un format consentant à l'habile épanouissement de l'introspection dans des figures percutantes et captivantes. Une odyssée décadente décrivant généreusement l'effondrement de la société sous le poids de sa propre folie et le retour inévitable à ses racines pour finalement mieux prospérer. Un véritable plongeon dans un récit à la dimension politique non moralisatrice, le génie de Merle étant de ne pas sombrer dans le manichéisme kantien qui voudrait appliquer aveuglément l'idée d'impératif catégorique. Non, ici c'est bien plus éclatant, bien plus réaliste... La complexité existentielle est ici magnifiée, célébrée dans toute sa médiocrité comme si l'on dévorait un polar où qu'on dépouillait un épisode de The Walking Dead. Malevil serait en somme l'incarnation de la puissance du réalisme dans toute son ambiguïté, aussi prodigieusement décrite que dans Le Chagrin et la Pitié et mettant en perspective deux visions des évènements et des épreuves traversés par nos héros de telle façon que je n'ai pu qu'en ressortir ému.

MonsieurBain
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les livres qui se lisent d'une traite, Les meilleurs pavés littéraires, Top 10 Livres, Ceux que je dois lire (ou relire) et Les livres les plus souvent relus

Créée

le 2 sept. 2015

Critique lue 3.6K fois

22 j'aime

6 commentaires

MonsieurBain

Écrit par

Critique lue 3.6K fois

22
6

D'autres avis sur Malevil

Malevil
MonsieurBain
10

(TOP 10) De l'esthétique survivaliste

Je dois bien avouer qu'il m'est toujours plus difficile de m'adonner à l'examen d'une œuvre que j'admire et dont je raffole sans limite qu'à celui d'un étron monumental, et cela je crois pour deux...

le 2 sept. 2015

22 j'aime

6

Malevil
GwlaDys1
3

L'apocalypse a tout détruit, sauf la misogynie

J’ai voulu lire Malevil parce qu’il arrive très haut dans les classements de livre de littérature française et dans les classements des livres post-apocalyptiques. J’ai une légère obsession pour ce...

le 8 févr. 2022

15 j'aime

8

Malevil
Coriolano
6

Classique, efficace, un livre de "faiseur"

L'apocalypse nucléaire a eu lieu. Un groupe de survivants occupe un château fort du moyen âge et essaye de survivre dans le monde hostile d'après "l'événement" : rareté de la nourriture, bande de...

le 13 juin 2010

14 j'aime

4

Du même critique

Julieta
MonsieurBain
9

D'un amour impossible

Cette soixante-neuvième édition du fameux festival de Cannes nous a largement, et peut-être même immodérément, vendu Julieta comme étant ce qu'on pourrait considérer comme non moins que le grand...

le 18 mai 2016

50 j'aime

14

Pulp Fiction
MonsieurBain
9

Des ambulations sanglantes

N'est-ce-pas un grave exercice dans l'univers de la critique que de s'atteler à une telle œuvre que Pulp Fiction ? Oui, certainement... Pour autant, il n'en est pas moins aisé puisque dès les...

le 3 oct. 2015

38 j'aime

16

Eyes Wide Shut
MonsieurBain
9

Fuck the Illuminati !

En regardant pour la première fois Eyes Wide Shut, j'avais ressenti cette profonde sensation de trouble que beaucoup d'autres semblent avoir devant l’œuvre de Kubrick en général. À vrai dire, si...

le 17 août 2016

37 j'aime

17