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Mars
7.8
Mars

livre de Fritz Zorn (1975)

Histoire d’une névrose mortifère et créatrice

Un livre difficilement supportable où Fritz Zorn a pourtant joué sa vie.


Insupportable parce que ce long monologue narcissique tente de transmettre au lecteur la névrose constitutive de l’auteur. Névrose qu’il explique par son milieu, la bourgeoisie aisée suisse, par l’héritage de ses parents qui, à ses yeux, n’ont su qu’effleurer la vie.


Là où il voit l’hypocrisie d’un milieu, on pourrait lui rétorquer qu’il s’agissait peut-être seulement d’une discrétion, de mœurs très policées. Des scènes par exemple où il montre combien ses parents sacrifiaient leur propre bien-être à leurs hôtes et qu’il juge insupportables peuvent interpeller car on peut y voir aussi, derrière l’écran constitué par la haine du fils, une simple expression de bonne éducation et d’altruisme.


Là où il voit l’entre soi répugnant d’un milieu où l’argent est facile, on pourrait lui rétorquer que cet argent lui a donné une vie matérielle et intellectuelle favorisée.


Seulement, tout cela, il le hait en bloc, la première partie du livre nous apprenant incidemment au détour d’une page que son père est mort plusieurs années auparavant sans qu'il ait pris la peine de l'évoquer dans le récit du cours de sa vie…


Sa névrose, c’est aussi son absence de croyance dont il rejette la tradition familiale qu’il juge hypocrite. Un passage de la deuxième partie du livre explique la violence de la révolte de Zorn à travers une relecture - magistrale et terrible – du cas de Job : « De tous les vices, il y en a un qu’il ne faut pas avoir : la patience. Je pense ici à l’un des représentants les plus exemplaires de ce trait de caractère, le Job de l’Ancien Testament. Dans toute sa misère, il ne vient pas à l’idée de Job de prendre position, au contraire, il se tient coi ou, comme il est dit dans la Bible : « Job ne pécha point et n’attribua rien d’injuste à Dieu. » Zorn, lui, crie sa haine à la face de Dieu et fait ainsi parler Job : « Tu as raison. Je reconnais que tu es le type le plus ignoble, le plus répugnant, le plus brutal, le plus pervers, le plus sadique et le plus écoeurant du monde. Je reconnais que tu es un despote et un tyran et un potentat qui écrase et tue tout. Ceci est une raison suffisante pour que je te reconnaisse et t’honore et te loue comme le Dieu unique qui apporte le salut. Tu es le plus grand porc de l’univers. »


Alors, au milieu de toute cette haine, au milieu de tous ces reniements, il y a deux points qui rendent ce livre superbe, exceptionnel peut-être.


D’abord, la souffrance. Incommensurable, transmise comme un legs de vie au lecteur. Elle est sans cesse palpable à travers chaque page, terrible, fulgurante.


Ensuite, l’extrême lucidité et sûrement le génie enfin atteint par cet être qui ne s’aimait pas et n’aimait personne : sa névrose, bien cernée par une analyse, a conduit son corps à produire un cancer qui le ronge comme le ronge son passé. Une jolie formule désigne sa tumeur comme l'endroit où ses "larmes sont rentrées", les larmes qu'il n'a pas versées en voulant se cacher son mal être. Il semblerait que cette découverte de Zorn soit étudiée par la médecine qui attribue dans certains cas une origine psychosomatique au cancer.


Et ce livre étonnant devient la tentative de se délivrer enfin de son passé alors que pour la maladie qui le ronge, il est déjà trop tard. J’y vois aussi une tentative pour se débarrasser de lui-même, de cet être favorisé qui n’a pourtant pas su aimer sa propre vie.
Rarement œuvre aura été écrite avec la vie même de son auteur.


A déconseiller aux névrosés et autres dépressifs.

jaklin
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le 17 févr. 2021

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jaklin

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