C’est ce que j’aurais dit, et pensé, si toutes les Mémoires d’Outre-Tombe, dévorées en deux mois, avaient été portées par le même souffle que Chateaubriand insuffle à décrire sa dévotion envers les Bourbons, de Saint-Louis au petit Comte de Chambord, le Henri V des légitimistes, ultime rejeton de la branche sacrée de l’Hexagone. Mais ces livres titanesques, mêlant introspections, histoire, récits de voyages, essais, diatribes, plaidoyers ou encore correspondances n’échappent pas aux longueurs superflues et aux descriptions du même acabit de personnalités que le lecteur peu rompu à cette France de l’époque ne peut s’empêcher de confondre.


Hyde de Neuville, Récamier, Fontanes, Tatsu, on s’y perd…sans parler des membres des Pairs de France ou des différents conclaves. Mais pour mener à bien une œuvre aussi colossale, qui détaille plusieurs chapitres majeurs de l’histoire de France, Chateaubriand se devait de tout mentionner, et si ce choix parait superflu aux yeux du lecteur moderne, il est béni par les historiens qui voient en ces archives de l’or là où les profanes ne voient que du cambouis.

Chateaubriand est un homme profondément émouvant, un chrétien pur et dur qui ne se laisse pas corrompre par le pouvoir, et qui sait rester fidèle à ses convictions en dépit de la lucidité brillante dont il fait preuve pour analyser la mutation des mœurs de la société française, dont il dresse un constat très pertinent à la fin de l’œuvre.


J’ai aimé son incorruptibilité, sa sincérité sans faille envers le roi, après qu’il eut été choqué par la vision d’une tête décapité sur un pic, qui eut également pour conséquence sa haine de la violence qui sera le cœur de ses griefs lors de ses attaques acerbes envers Bonaparte et sa gourmandise de conquêtes de victoires.


En parlant de Bonaparte, il n’hésitera pas à se séparer de lui après la mort du duc d’Enghien, et malgré le récit biographique sans gloire qu’il dresse de lui, critiquant sa responsabilité sur les millions de morts qu’ont engendré son appétit militaire international, fustigeant son statut d’usurpateur souverain, persiflant à propos de son changement de date de naissance, et se moquant même de sa frousse lors de son transfert sur l’île d’Elbe, il lui rendra tout de même hommage avec cette phrase retentissante qui résume sa vie : « Napoléon rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine. »


J’ai aimé sa dévotion, le fait qu’il se rende sans hésiter auprès de Charles X et sa famille, isolés au château du Hradschin, à Prague, nous gratifiant même d’un passage rempli d’humour avec le douanier zélé qui lui refusa le passage. J’ai aimé le portrait profondément humain qu’il fait de cette famille royale, chassée, méprisée, tentant tout de même de rester digne et de se cultiver, bien que se sachant proche de la pourriture.


J’ai aimé son refus de travailler pour l’usurpateur Orléaniste, et l’abandon de toutes les prérogatives ou autres revenus financiers que cela impliquait. Encore une fois, fidèle chrétien et légitimiste avant tout, il s’est infligé une précarité pour garder son honneur sauf, tout en restant digne et classe dans ses rapports avec le faux roi.


Ardent défenseur de la liberté, notamment celle d’expression, Chateaubriand est beaucoup critiqué par les légitimistes vis-à-vis de cette position. Comme le dit Kant dans son texte sur les Lumières, un peuple éclairé, en état de majorité intellectuelle, serait capable de réfléchir et saurait critiquer de manière intelligente un absolutisme qui serait dérivant. Mais si l’on donne de la liberté au peuple, est-ce qu’il s’instruirait de lui-même pour être en état de majorité, ou est-ce qu’il se contenterait de laisser des parlementaires réfléchir à sa place ? La deuxième option est plus probable. Je ne suis pas opposé à la liberté, au contraire, mais elle doit impliquer un effort intellectuel de la part du peuple. Chateaubriand est la parfaite définition de l’homme en état de majorité intellectuelle, toutes ses décisions ont été prises à l’aune de sa réflexion et de ses connaissances, mais combien de Chateaubriand la France compte-t-elle ? C’est la nuance que j’apporterais aux idéaux de l’auteur, et c’est la raison pour laquelle je ne le rejoins pas totalement. Légitimisme et monarchie parlementaire sont comme huile et eau.


Les Mémoires d’outre-tombe sont beaucoup trop denses pour être résumées ou évoquées point par point, je retiens simplement de ce livre la lucidité de Chateaubriand, son acceptation de la médiocrité humaine dont il se fait le premier parangon, si je puis dire. Toujours modeste, il ne se jette jamais de fleurs, semblant parfois même souvent s’excuser d’avoir du talent. Ses derniers instants, sa misère durant son exil lors des chouanneries, son comportement adultérin envers sa femme, ses erreurs de jugement…il ne cache rien. Son mépris pour la gloire et son dédain pour la renommée ne peut être nié. D’ailleurs, s’il a toujours refusé que ce chef d’œuvre sorte qu’une fois après sa mort, ce n’est pas pour rien.


La différence entre les génies et les médiocres est palpable : Chateaubriand qui retrace avec humilité et retenue les vicissitudes des hautes sphères de la France depuis la Révolution de 1789 jusqu'à l'usurpation de 1830, en passant bien évidemment par le Premier Empire, c'est autre chose que Charrière qui s'autosuce pendant tout son roman Papillon ou Romain Gary qui place sa mère au-dessus de l'astre solaire pendant ses Promesses de l'Aube.


Les citations recopiées pour mon plaisir personnel et ma culture sont abondantes, et je les relis pour jouir d’un plaisir littéraire ou appuyer mes réflexions. Malgré mes divergences avec ses idées politiques, et outre le fait qu’être légitimiste en 2023 n’a vraiment que très peu de sens, Chateaubriand est devenu une référence qui me mènera vers d’autres. L’œuvre m’a beaucoup marqué, et ce d’une manière intemporelle.

Ubuesque_jarapaf
10

Créée

le 20 mars 2023

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