De la musique avant toute chose...

Un prof un jour m'a dit que je devais alléger mes phrases, car j'avais tendance à trop les charger d'idées. Il avait parfaitement raison, mais j'aimerai pouvoir lui montrer les progrès accomplis. Lui montrer preuves à l'appui que l'important n'est pas la grammaire ou la syntaxe -et encore moins le vocabulaire. Car tout ça est utile, mais par exemple la syntaxe? Eh bien, je ne sais même pas ce que c'est. Un nouvel impôt? Une herbe folle? Un truc dans le moteur?

Non, ce qu'il faut chercher avant tout c'est la musique de la phrase, que la forme soit fluide et que le contenu se révèle aisément. Et, savez-vous? C'est dans les Mémoires de Louis XIV que j'ai trouvé l'exemple le plus spectaculaire de cette exigence de musicalité.

Déjà, avant de tomber sur le bouquin je ne savais même pas qu'il avait eu le temps d'écrire. Mais vers la trentaine, bien avant Versailles et toutes les guerres ruineuses qui ont suivi, il a couché par écrit ses mémoires (ou plutôt les a fait écrire, et nombreux furent les scribes).

Le but étant principalement (mais pas seulement) d'édifier son fils et de lui enseigner l'art de gouverner, on voit que cet ogre, qui courait perpétuellement d'une chasse à un banquet, de sa reine à ses maîtresses, d'un ballet à des soirées fastueuses (sans oublier les guerres et la diplomatie, les plans de Versailles et ses jardins, ainsi que 1000 entretiens avec autant d'interlocuteurs) trouvait encore le temps d'assurer sa succession et de raisonner sur le temps long.

Rien d'étonnant, au fond, de la part d'un homme qui se percevait comme l'incarnation de son pays, le garant de sa survie et de sa grandeur. Mais cet ouvrage a pour moi été un triple choc. Déjà, il est très rare qu'un personnage de cette envergure laisse un témoignage. De nos jours, même les stars de la télé-réalité publient leurs mémoires. Mais à l'époque, trop occupés les géants étaient pour prendre le temps d'écrire sur eux-mêmes. César et Marc Aurèle, bien avant lui, Montaigne, dans un autre genre... Et qui d'autre?

Ensuite, la puissance de la pensée. L'impression d'être à l'intérieur de lui comme au fond d'une immense caverne: rien qu'à le lire, tu sentais le mec hors du commun et parfaitement conscient de son rôle. Et c'était voulu! Tout, absolument tout dans sa vie servait cet objectif de grandeur! Or ce n'est pas tous les jours qu'on se balade à l'intérieur d'une figure historique aussi facilement que dans la statue de la Liberté.

Et la musique! La musique achevait le lecteur comme Salieri était vaincu par Mozart. La rigueur de la construction au service de la musique illustrait à la fois la démarche politique, la force morale et la dimension historique d'un roi qui se percevait comme étant entièrement au service du Beau.

Un truc de malade, moi je dis. J'ai lu bien des choses, mais j'ai rarement pris une claque artistique, intellectuelle et historique de ce calibre...