Nicole Eaton, que tout le monde appelle Nikki est la narratrice de ce roman. Jeune trentenaire mal dans sa peau, journaliste dans la feuille de chou locale. Maigre, maîtresse d’un homme marié en instance de divorce depuis près de quatre ans (sera-t-il libre un jour ?), cadette d’une sœur un peu trop sûre d’elle qui la tyrannise, elle arbore depuis peu une nouvelle coupe de cheveux – punk et rose – qui va faire sensation dans sa famille très traditionaliste.

Dans l’ouest de cet état de New-York dont je maîtrise maintenant la géographie (« Mère disparue » est mon 21e JCO), l’histoire commence sur une réunion de famille : la sacro-sainte fête des mères. Nikki arrive chez sa mère (Gwen, veuve depuis quelques années) pour constater que celle-ci a encore invité des tas de gens qui n'ont rien à faire là en cette occasion : Alyce la meilleure amie de maman, un artisan qui était venu débarrasser la maison de ses fourmis quelques jours plus tôt, la toute nouvelle amie de maman connue au centre commercial… Exaspérée plus que surprise, Nikki choisit de ne pas faire de remarque : sa mère était comme ça, accordant à tout être humain une confiance et une amitié entière dès la première minute.

« Cela te jouera des tours maman » prophétisèrent Nikki et Clare.

Après une première partie de préambule destinée à poser les personnages, Joyce Carol Oates en vient ensuite avec les fameux « tours » que le destin réservait à maman : une trentaine de coups de couteaux qu’un cambrioleur lui asséna, la laissant inerte sur le sol cimenté du garage. Dans une mare de sang.

Coup de téléphone hystérique au 911, ambulance, police, coroner, rubans jaunes délimitant la scène de crime, attroupement de voisins se hissant sur la pointe des pieds pour voir quelque-chose. Larmes. Douleur insoutenable. « Ne craque pas Nikki, ne craque pas. Pas devant tout le monde ! »

Enquête de la criminelle. Pour la forme. Car l’enquête n’intéresse pas JCO : elle n’a jamais écrit de roman policier (du moins, pas sous son vrai nom) et « Mère disparue » n’en sera pas un non plus. Toute l’enquête est bouclée en à peine quatre pages (sur plus de 500). On relève les indices, on trouve l’identité du coupable, on l’arrête, on le colle au trou. Et c’est fini !

Non, ce qui intéresse l’auteure, ce sont les répercussions de ce tragique événement sur les survivants. Vont-ils se remettre ? Va-t-on assister à une renaissance ou à une descente aux enfers ? Que vont devenir les deux orphelines ? Leur famille, l’attitude des voisins… Et les affaires de maman qu’il faudra trier, la maison qu’il faudra vider pour « la mettre sur le marché ». Autant de souvenirs qu’on aura l’impression de balayer. Une mère qu’on aura l’impression de mettre à la porte. D’abandonner. De trahir, peut-être ?

La période durant laquelle on ne veut voir personne : « Fichez-moi la paix ! Laissez-nous ma douleur et moi… » Tous ces petits riens qui nous rappellent l’être cher, disparu et qui ne reviendra jamais, mais que pourtant on s’attend à voir réapparaître d’un instant à l’autre. Qu’on avait cru immortel, et qui ne l’était finalement pas. Les regrets tardifs, les occasions manquées qui font atrocement mal.

Et cette tête qu’il faudra bien relever un jour pour ne pas sombrer tout à fait. Qu’on relève alors qu’on pensait ne jamais y parvenir. Les autres qui, sentant une amélioration, reviennent cogner à la porte. Avec lesquels on évoque le défunt. Des souvenirs qui n’en sont pas toujours. Des mots qui sonnent alors comme des révélations. Nikki – rebelle – qui a toujours hurlé que ses parents n’avaient aucune idée de qui elle était vraiment, prend alors conscience qu’elle non plus ne connaissait pas sa mère.

Encore un livre bouleversant et d’une grande force. Ecrit par une grande dame qui décidément est une experte du genre humain. Les personnages sont comme d’habitude très fouillés, criant de vérité, avec leurs qualités et leurs défauts, leur force et leur part d’ombre, leur sollicitude et leur mesquinerie. Un roman moins sombre qu’à l’accoutumé, empreint d’ondes positives. Une pointe d’optimisme assez inhabituel qui rend peut-être ce livre plus aisé à aborder qu’un autre. Certainement une bonne porte d’entrée pour un lecteur cherchant à découvrir le monde envoûtant de JCO.
BibliOrnitho
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le 12 sept. 2013

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