Ils continuaient. Ils allaient comme des hommes chargés d’un dessein dont les origines leur étaient antérieures, comme les héritiers naturels d’un ordre à la fois implacable et lointain.



Tout serait presque dit ici si l’auteur n’avait pas voulu développer un peu plus...


«Méridien de sang ou le rougeoiement du soir dans l’ouest» est un roman de 1985. Loin de s’interprêter comme un western au sens cinématographique du terme si ce n’est «le western crépusculaire», ou même parfois pourrait-on y déceler quelques clins d’oeil au werstern spaghetti dans ses longues chevauchées et villages désolés, poussiéreux et silencieux et ses affreux personnages, comme cavalerie fantomatique.
Mais point de héros ici pour renverser la vapeur. Pas d’espérance non plus.
Le sens de l’honneur, la victoire du bien sur le mal ou encore les romances croisées, rien de tout cela. Ce serait plutôt le mythe fondateur mis à mal, où l’Eldorado n’est que fantasme.


Nous sommes dans le sud-ouest des Etats-Unis, à la frontière mexicaine, vers 1850 et à la fin de la guerre US/Mexique.


L’introduction donne le ton sur ce qui suivra de pessimisme, de noirceur et de lutte sans fin.
Un jeune garçon fuit sa vie, sans famille, sans amour, rien à quoi se raccrocher. Il n’a pas de nom. Il est seul. La mort d’une mère, un père absent et des rencontres dramatiques. Le jeune garçon s’associe avec le premier homme rencontré, Toadvine et par deux fois avec une armée irrégulière menée par le capitaine White et ensuite avec une autre bande dirigée par Glanton, et un juge, Holden, en route vers le mexique afin de décimer les peuples indiens, à la solde d’un gouvernement en quête de territoires.


La violence déjà prête à sortir peut enfin éclater et signe la fin de l’innocence. Nous le suivrons dès l’introduction mais il disparaitra au fil des pages pour revenir plus loin, nous concentrant ensuite sur les autres personnages récurrents de l’ouvrage où certains se retrouveront «au final».
Le personnage du juge qui, quant à lui, imposant, n’en est pas moins un monstre, figure du mal, peut-être même sorcier, qui finira par nous paraître irréel tant il navigue au-delà de l’horreur avec aisance, s’octroyant quelques phrases bibliques pour appuyer sa toute puissance et qui renvoie à l’image même du colonialisme destructeur.


MacCarthy nous conte une simple histoire de vies et de morts, celles du passé, du présent et de l’avenir, de la perte d’identité et de cette sauvagerie comme pendant de l’homme.



Je voudrais pas aller contre les Saintes Écritures mais qui sait s’il y a pas eu des pécheurs tellement endurcis dans le mal que les flammes les ont rejetés et je pourrais sans peine imaginer qu’en des temps très anciens des petits démons se sont élancés avec leurs fourches à travers ce vomi incandescent pour reprendre possession des âmes qui avaient été recrachées par erreur de leur lieu de damnation et rejetées sur les bords extérieurs du monde. Oui. C’est une idée, rien de plus. Mais quelque part dans l’ordre des choses ce monde-ci doit rejoindre l’autre.



Son style d’écriture, épuré, mais descriptif à l’extrême, ses digressions, entre briéveté et longues envolées lyriques interminables, sont la signature de McCarthy. La traduction souvent évoquée comme problématique et peu représentative de l’auteur, l’est sans doute de part son vocabulaire plus «concentré» difficile à retranscrire apparemment et qui peut paraître déconcertante par ses longueurs.
Mais tout l’intérêt de ces moments ne font que nous plonger dans «l’enfer de l’ouest».
Son ambiance tient tout à la fois d’un réalisme évitant le sentimentalisme, mais toute sa maîtrise de la construction et son sens du détail, nous transportent dans son univers sombre et pourtant poétique. On oscille entre les hommes et leur violence, le calme de l’environnement imperturbable, tout autant violent, comme un effet miroir.


La trame est donc simple, l’errance et la violence gratuite, l’être humain en ce qu’il peut avoir de bon mais de surtout fondamentalement mauvais...
L’auteur s’est documenté, appuyé par sa force de précision que ce soit dans les menus détails de leur traversée du désert tant mentale que physique, de leurs préparatifs, de leurs armes, de leur manière d’appréhender ce qui les entoure, hommes, animaux, ou encore de cet immense étendue américaine, grandiose et dangereuse nous guident en même temps dans une sorte d’envers du décor, ambiance cauchemardesque et surnaturelle, où l’homme serait mû par une force invisible.


A l’image du désert qui n’a pas vocation d’accueil et ne peut être vaincu, ces hommes tuent et massacrent les indiens comme autant de freins à leur hypothétique survie. Mais Mc Carthy n’idéalise personne et marque son lecteur.



Les saisissant par les cheveux et passant leurs lames autour des crânes des vivants comme des morts et levant bien haut les sanglantes perruques et tailladant et tranchant dans les corps dénudés, déchirant des membres, des têtes, vidant les bizarres torses blancs et brandissant de pleines poignées de viscères, d’organes génitaux, quelques-uns parmi les sauvages tellement imprégnés de matières sanglantes qu’ils semblaient s’y être roulés comme des chiens et d’autres qui se jetaient sur les mourants et les sodomisaient en poussant de grands cris à l’adresse de leurs compagnons.



Comme dans son livre «La route» l’auteur nous parle de transmission et du défaut de celle-ci. De perte totale d’humanisation, d’instincts premiers servis par une époque difficile. De violence comme seul moyen de survie. Et la nature, souvent centrale chez l’auteur, véritable et seule force que chacun tentera d’apprivoiser et de s’approprier.


Actions répétitives pour appuyer son propos, sans pour autant en oublier ces moments d’absence et de dérive de toutes ces troupes qui contribuent à générer une certaine angoisse où l’on s’attend constamment à des rebondissements malsains. Survivre dans un pays où tous sont des sauvages.


Rien de moins.

limma
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le 23 juin 2017

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