« L’enfer c’est les autres ». C’est peut-être ce que laisserait entrevoir la première lecture de Moi, Tituba sorcière…Noire de Salem. Mais ce n’est cela que si l’on refuse de se laisser maltraiter, désorienter, retourner, diviser par l’écriture de Maryse Condé. Car celui qui s’y soumet vraiment ressort grandi de sa lecture, comprenant que ce monde n’est voué à perdurer qu’à partir du moment où il est toléré, qu’il ne tient qu’à nous, non pas de faire table rase du passé, mais de s’en imprégner, fusse difficile, même à priori impossible, pour créer un avenir enfin métissé des expériences passées et des espoirs futurs. Celle qui nous conduit dans cet apprentissage c’est Tituba. Tituba c’est le bébé issu du viol d’Abena, sa mère, esclave rebelle par un marin Blanc, connu seulement pour son crime. Tituba c’est une enfant mal aimée par une mère meurtrie qui sera pendu pour avoir lutté contre un deuxième viol. Tituba c’est une jeune fille libre, riche des enseignements médicinaux et mystiques d’une guérisseuse Man Yaya, qui la guidera même par-delà la mort. Tituba, c’est une femme qui pour l’amour d’un homme deviendra esclave à son tour et sera déracinée de son île pour être jugée comme sorcière dans l’Amérique puritaine du XVIIe siècle. Tituba, c’est ce cœur qui se forgera dans la violence, l’horreur de l’emprisonnement et la ségrégation d’altérité en s’acceptant effectivement comme différente, puisque renonçant à l’instinct de devenir comme ses bourreaux. Tituba, c’est cette vieille femme qui retrouvera enfin son île. Tituba, c’est notre quête à tous d’identité mais c’est aussi cette hiérarchisation des différences qui divise le monde d’alors et celui d’aujourd’hui. Tituba c’est l’espoir qui semble amputé à la vie, mais qui, de manière un peu magique, renait de ses cendres à peine la dernière ligne engloutie. Mais comment l’œuvre, reposant sur des dichotomies et des paradoxes, arrive-t-elle à proposer de changer le monde, pour que les différences qui y coexistent ne soient plus hiérarchisées enfantant ainsi la liberté, aspiration universelle qui nous réunit dans notre humanité ?


C’est par le truchement d’un duel sans vainqueur entre altérité et identité, par le déchirement constaté et subi que le lecteur, comprend - grâce à l’ampleur de l’ambivalence stylistique de l’œuvre- et peut accéder à ce message caché. Comme Tituba le style du roman est métissé. A la fois roman d’apprentissage, fiction incluant des sources historiques, témoignage socioculturel… Le roman porte surtout la symbolique en fer de lance. Une image en appelle une autre, parfois, souvent, contraire. Mais au service d’un même intérêt, didactique, pour que le lecteur puisse lui-même concevoir comment créer un monde meilleur. C’est parce que la différence est stigmatisée, parce que le bonheur semble hors de portée, parce que l’identité personnelle ne peut se défaire de la confrontation à l’autre, que le respect seul conduit à la liberté. L’autre, nous pouvons l’appréhender au fil des pages du roman n’est pas nécessairement l’enfer. Mais pour cela il faut changer de prérequis et délester nos regards du sempiternel jugement. L’autre devient ainsi le miroir sans tain où nous ne pouvons certes pas contempler notre reflet mais qui s’ouvre sur l’antre secret de notre identité. Tant que les différences seront hiérarchisées, l’homme ne sera pas libre. Tant que la ségrégation sera de ce monde, il faudra des Tituba, pour révéler le besoin et même le devoir d’insurrection. Rien de terriblement nouveau ou d'incroyablement pensé au fil des pages, simplement un sentiment, surprenant, l'espoir. Et une stylistique qui personnellement m'a charmée.

Zafrina
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le 3 déc. 2016

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