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Où atterrir ?
6.8
Où atterrir ?

livre de Bruno Latour (2017)

Dans son dernier livre, Bruno Latour essaye de dresser les contours des enjeux politiques de ce qu’il nomme le « Nouveau Régime Climatique » (NRC). Pour justifier le passage à ce nouveau régime, il s’appuie sur le concept maintenant classique d’« antrhopocène » et sur la « grande transformation » de Polyani – le pendant « terrestre » des 30 glorieuses. Sur le plan politique, il cite l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, la sortie de l’Accord de Paris, le résultat du référendum sur le Brexit et « la reprise, l’extension, l’amplification des migrations » comme les indicateurs du basculement en cours. Le livre est dédié à la compréhension des mécanismes qui créent les divisions politiques contemporaines, et à la tentative de réorganiser les clivages pour pouvoir mener une lutte politique efficace.
Latour commence par distinguer la mondialisation-plus, celle qui mutliplie les points de vue, à la mondialisation-moins, celle qui uniformise. De même, il distingue le local-moins, le réflexe de peur face à l’inconnu, et le local-plus, la volonté de préserver son identité et ses intérêts locaux. Pour autant, tout ces concepts deviennent inopérants à partir du moment où l’on se rend compte qu’il n’existe pas de sol pour héberger la mondialisation, -plus autant que moins. En effet, le Nouveau Régime Climatique est l’expression des limites physiques, indépassables, de la planète. Dès lors, le changement de paradigme est tel – l’horizon que se fixait la société étant désormais définitivement inatteignable – que Latour compare le déracinement qu’il produit à une colonisation, dans le sens où il oblige les habitants – cette fois tous les habitants sans exceptions, y compris les puissants – à changer leurs habitudes.
Face à ce bouleversement, une attitude s’est solidifiée : le trumpisme, c’est-à-dire le refus de la réalité, la volonté de faire comme si de rien n’était, de vivre hors-sol. Ce positionnement n’est bien évidemment pas propre à la politique de Trump et se retrouve en fait dans la plupart des programmes politiques. A l’exception par exemple d’initiatives telles que l’Accord de Paris car « Qui a donc obtenu la signature de ces cent soixante quinze Etats, sinon une forme de souveraineté devant laquelle ils ont accepté de ployer le genou et qui les a poussé à s’entendre ? Si ce n’est pas une puissance qui domine les chefs d’Etats, et à laquelle ils reconnaissent une forme encore vague de légitimité, comment l’appeler ? » Dans une logique trumpiste, la négation des faits n’est pas un choix, c’est une nécessité : « C’est parce que la situation géopolitique d’ensemble doit être déniée que l’indifférence aux faits devient tellement essentielle. »
Pour Latour, la position inverse – « l’attracteur opposé », pour reprendre sa formulation – n’existe pas encore, et c’est l’enjeu de son texte que d’en dresser les contours. Il l’appelle « l’attracteur Terrestre », qui s’oppose donc au « Hors-sol ». C’est celui qui concentre son attention sur la « Zone critique », le terrain qui « se limite, vu de l’espace, à une minuscule zone de quelques kilomètres d’épaisseur entre l’atmosphère et les roches mères. » Il arrive alors à une définition de l’écologie politique : « L’écologie n’est pas le nom d’un parti, ni même d’un type de préoccupation, mais celui d’un appel à changer de direction : vers le Terrestre ! »
On comprend donc son argument selon lequel les concepts de droite et de gauche sont dépassés (pas au sens de Macron ou de Blair évidemment, mais pas non plus au sens de « la voie capitaliste vers le communisme » de Rutger Bergman ou d’Emmanuel Dockès). Pour pouvoir mener la nécessaire lutte politique en faveur du terrestre, il faut créer un nouvel axe politique sur lequel organiser les débats. Il mobilise des arguments de sociologie des techniques pour montrer le caractère structurant de l’organisation de la vie politique en deux pôles attracteurs (depuis deux siècles) : structure qu’il déplore, mais que par stratégie politique il préfère « décaler » (vers de nouveaux attracteurs) plutôt que de la remettre en cause entièrement. Aujourd’hui, les programmes politiques sont encore largement « hors-sol », et cela ne pourra pas être changé tant que l’attracteur inverse n’aura pas été formalisé.
Bruno Latour continue sa démonstration par des chapitres où il se positionne plus personnellement : il explique que l’« empuissantement » (pour reprendre le joli mot de Damasio) du « Terrestre » passe par des démarches de type « cahier de doléance ». Cela correspond aussi à un recentrage de la science : pas en remettant en cause sa nature, mais ses objets d’études et ses modes de relation au réel. « Ce qu’il nous faut, c’est compter sur tout le pouvoir des sciences, mais sans l’idéologie de la « nature » qui lui a été attachée. Il nous faut être matérialistes et rationnels mais en déplaçant ces vertus sur le bon terrain. » Enfin, il termine par un plaidoyer en faveur de l’Europe, qui serait par son histoire et du fait des rapports de forces géopolitiques actuels la mieux placée pour faire émerger ce nouvel attracteur.
Où atterrir ? est donc très théorique – il donne finalement peu de prises concrètes pour l’action, individuelle ou politique. Cependant, il fournit de nouveaux concepts nécessaires et efficaceme pour cadrer des débats politiques à avoir.
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le 19 juin 2019

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