Où es-tu ?
4.5
Où es-tu ?

livre de Marc Lévy (2001)

Un festival de clichés et de grand n'importe quoi

Je ne voulais pas mourir idiot. On se moque des best-sellers, Levy, Musso et compagnie sans jamais en avoir lu une ligne. Je pourrais maintenant me moquer de Marc Levy en connaissance de cause (et pour les autres, on verra plus tard) ; mais critiquons-le sérieusement quand même.

Brisons le suspens immédiatement : c'est du grand n'importe quoi, au point que ce serait drôle si c'était voulu. Passons vite sur l'écriture, indigente. Personne n'a dû relire le manuscrit chez Robert Laffont (pas fous les gars), ce qui expliquerait des choses comme "autre alternative" (p. 27 ; toute alternative étant autre, par définition...) ou "Depuis l'accident elle n'est plus tout à fait la même, comme si les années s'étaient bousculées aux portes des réveillons, telles des cartes à jouer que l'on jette par deux pour distribuer plus vite" (p. 20). On a l'impression que soudainement, toutes les 30 pages, Marc Levy se réveille de sa transe d'écriture automatique, qu'il se dit "Merde, je suis un écrivain quand même !" et qu'il va nous faire des phrases d'écrivain. Et là les bras vous en tombent, vous ne pouvez pas prendre ces phrases au sérieux tant elles dénotent du reste du livre ; du coup vous les relisez trois fois et vous riez.

Comme si chaque tragédie dont elle avait été le témoin s'était incrustée dans sa chair, dessinant les contours d'une blessure débordante d'humanité et de désarroi. (p. 67)

Dernière remarque sur l'écriture : l'américanisme. Qu'un romancier français veuille écrire sur les États-Unis, pourquoi pas, les personnages s'appellent Philip et Susan, ça se passe là-bas sans qu'on sache vraiment où, ok. Là où ça devient franchement ridicule, outre le fait que l'Amérique n'existe que par des clichés éculés de série télé, c'est avec l'usage de mots en anglais, traduits en note de bas de page. Pourquoi écrire "prom" à la place de "bal de fin d'année" ? "New Year's Eve" à la place de "réveillon du Nouvel an" ? "Graduation" ? "Sweet Sixteen" ? Si c'était des intraduisibles, évidemment, enfin là...

Oublions donc toute idée d'écriture, finalement de littérature. On se trouve ailleurs, dans quelque chose qui relève de l'ordre du récit pur, de la narration. De quoi ça parle ? Susan et Philip s'aiment mais Susan a perdu ses parents dans son adolescence, se sent coupable et part donc faire de l'humanitaire au Honduras (c'est écrit, je ne m'improvise pas psychanalyste). Et là évidemment c'est un festival de clichés sur l'humanitaire : le rire des enfants pauvres ("Je n'imaginais pas l'importance que peut soudain prendre dans une vie le rire d'un enfant", p. 56), ils n'ont rien mais ils donnent tout ("J'étais venue ici en les croyant victimes, ils me montrent à chaque instant qu'ils sont bien autre chose et m'apportent aujourd'hui bien plus que je ne leur donne", p. 81), la simplicité de ces vies-là ("- Pourquoi êtes-vous si compliqués, vous les gringos ? / - Parce qu'on a perdu les raisons de la simplicité, c'est ce qui me fait aussi aimer être chez vous", p. 88)... Le Honduras n'existe pas, ça pourrait se passer ailleurs et ce serait pareil, il y a juste une vallée et une montagne ; le seul personnage hondurien sait lire les signes de la nature et voit des présages dans les oiseaux (p. 57)...

L'intrigue repose donc sur l'opposition Susan-Philip, jusqu'au tournant de la moitié du livre :

on apprend que Susan est morte, et envoie sa fille à Philip pour qu'il l'élève, alors qu'il en ignorait l'existence. Boum. J'étais content qu'il se passe enfin quelque chose d'inattendu. Sauf qu'évidemment à la fin Susan n'est pas vraiment morte et je hurle.

On ne croit à rien, ni aux situations caricaturales, ni aux personnages, ni aux (nombreux) dialogues.

Quand elle disparut il murmura : "Trois petits points de suspension jusqu'à l'année prochaine." (p. 112)

Bah non, personne ne dit ça, c'est idiot, il n'y a que dans un roman de Marc Levy qu'on peut imaginer dire une chose pareille. C'est grotesque du début à la fin. On peut lire de nombreux aphorismes, comme "Partir n'est pas toujours un abandon, c'est aussi une façon de préserver ce qui a été vécu si l'on sait s'en aller avant qu'il ne soit trop tard" (p.133). J'aurais peut-être dû partir de ce livre page 133, avant qu'il ne soit trop tard.

antoinegrivel
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le 4 déc. 2023

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Antoine Grivel

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