Paycheck
7.3
Paycheck

livre de Philip K. Dick (1952)

Ah, les recueils de nouvelles... Un éditeur décide de ranger les nouvelles d'un auteur à succès dans un recueil, histoire de surfer un peu sur la vague, et hop, en un tournemain l'affaire est bouclée.
La chronologie? On s'en fiche, on n'a qu'à mettre plein de nouvelles sans ordre précis dans notre recueil. Qu'importe si en passant de 1953 à 1955 à 1954 à 1955 à 1963 à 1974, presque vingt ans d'une nouvelle à l'autre, le lecteur trouve que les problématiques de l'auteur évoluent, changent, trouve que les thématiques n'ont rien à voir, qu'importe si dans la première nouvelle une note de bas de page nous dit que pour bien comprendre la nouvelle, il faut lire en parallèle une autre nouvelle disponible dans un autre recueil. Qu'importe également si la nouvelle "que faire de ragland park" reprend des personnages d'une autre nouvelle complémentaire, "le suppléant / stand-by", qu'il vous faudra aller chercher dans un autre recueil de nouvelles "paycheck", etc.
L'ignorance des éditeurs est également source d'incompréhension pour moi quand je cherche à lire une nouvelle bien précise : comment trouver, dans la multitude de recueils de nouvelles de K. Dick, celle que l'on cherche? Autant y aller au petit bonheur la chance mais finalement, il semble que certaines de ses nouvelles ne soient pas encore publiées et pas très faciles à trouver... (par exemple celle dont le film "Total Recall" est adaptée - très difficile à trouver...). Dommage ici encore qu'une approche simple et chronologique ne soit pas adoptée...
Qu'importe également quand la même nouvelle se retrouve dans deux recueils du même éditeur ("là où il y a de l'hygiène" disponible dans le recueil "Immunité" et aussi dans le recueil "Paycheck").
Bref, du travail de sagouin, un vrai désastre, surtout que les traductions ne sont jamais faites par les mêmes personnes et que l'absence de notes de bas de pages expliquant certaines traductions de certains néologismes se fait cruellement sentir.
Je passe sur la couverture baclée, qui essaye de surfer sur la vague du film (pas une si grosse vague que ça en fait!) en reprenant les couleurs bleutées de l'affiche, et ne constitue même pas une illustration, juste de la typo néon bleue... (allez, on casse un peu sa tirelire et on embauche des illustrateurs, chez folio!)
Ceci étant dit, un livre, ca n'est pas que le travail de l'éditeur, même si celui-ci s'évertue à brouiller les pistes, à rendre incohérent et difficile d'accès l'œuvre d'un auteur - un livre, c'est principalement, surtout, le TEXTE.
Et en ce qui concerne le texte, heureusement, l'esprit génial de Philip K. Dick est bien présent dans ce recueil de nouvelles.

Il m'est difficile de présenter une critique portant sur des nouvelles dans senscritique - en effet, il eut fallu scinder le recueil en autant de nouvelles qui y sont présentes, tout comme c'est le cas lorsque l'on note des morceaux de musique au sein d'un même album. Je vais donc présenter ma critique en tranches, une pour chaque nouvelle... Et ma note globale est basée sur l'impression générale que j'ai eue du livre, même si comme d'habitude dans une collection, le meilleur tire le pire vers le haut et vice-versa.


La clause de salaire : Cette nouvelle que je trouve tout à fait géniale - baclée malheureusement dans son adaptation ciné par John Woo - est l'une des meilleures du recueil. Le facteur humain y est très fort - la dérision, aussi, que K. Dick sait très bien manipuler. J'ai souhaité que certains passages soient un peu plus riches, mais il y a déjà beaucoup à se mettre sous la dent dans cette nouvelle...

Nanny : Prenant pour thème l'obsolescence programmée sous un angle très intéressant, Nanny comporte beaucoup de bons moments. L'écriture de K. Dick est très visuelle par moments et inspire des images d'une SF un peu désuète (la nouvelle date de 1955), mais très amusante.

Le monde de Jon : Des voyages dans le temps. Des rebondissements. Des réalités parallèles. Un personnage avec des facultés cognitives supérieures. Un petit message écolo. Que demander de plus? L'une des meilleures nouvelles du recueil.

Petit déjeuner au crépuscule : Ici encore, les situations des protagonistes sont très distrayantes et ont une réelle force autant narrative (la manière dont l'american way of life est mise en perspective face à un univers post-apocalyptique!) que vraiment visuelle (c'est d'ailleurs regrettable que l'éditeur n'ait pas choisi d'illustrer chaque nouvelle par une page de titre avec un dessin, comme ce fut le cas des nouvelles de Asimov dans "le robot qui rêvait" - l'édition avec le dessin de Caza en couverture et les illustrations de Ralph McQuarrie à l'intérieur).

Une petite ville : Très bonne nouvelle du recueil, flirtant plus avec le fantastique qu'avec la science-fiction, cette nouvelle présente un thème récurrent chez K. Dick que j'aime personnellement beaucoup : un personnage insignifiant, un paumé, qui va grâce à l'intrusion du fantastique dans sa vie, lui donner un sens et une dimension incroyable.

Le père truqué : Encore une très bonne nouvelle (c'est à croire qu'ils mettent le meilleur au milieu, chez folio SF?) - Le père truqué a des rebondissements et un bon suspense - je suis toujours surpris qu'il n'y ait pas plus de réalisateurs qui adaptent des nouvelles de K. Dick en films ou court-métrages aujourd'hui, surtout quand nous vivons à une époque ou faire des effets spéciaux n'a plus rien de sorcier. Le côté "Body Snatchers" est difficile à ignorer, cependant, je ne sais pas quelle œuvre a précédé l'autre, mais en tout cas cela ne gêne pas pour apprécier la nouvelle.

Là où il y a de l'hygiène : Je n'ai pas apprécié cette nouvelle autant que les autres. Un peu longue, pas toujours très claire, un peu trop politisée pour moi, j'ai senti que K. Dick essayait d'ironiser sur une société obsédée par la propreté corporelle, mais pour moi cette nouvelle aurait dû être plus courte.

Autofab : Je n'ai pas beaucoup apprécié cette nouvelle non plus. Difficile d'entrée (j'ai dû m'y reprendre à deux fois pour bien saisir ce qui se passait, le début étant étonnamment complexe), un peu trop riche en personnages, elle ne repose que sur une chute qui vient après 44 pages bourrées de longueurs. Un peu un sacerdoce pour moi, j'ai été décu de trouver cette nouvelle dans le recueil après autant de bonnes nouvelles très abordables.

Au temps de Poupée Pat : Troisième nouvelle que je n'ai pas beaucoup appréciée - et troisième à la suite - "Au temps de Poupée Pat" raconte comment des adultes se mettent à jouer à la poupée dans un monde post-apocalyptique. C'est très long (42 pages), très faible en rebondissements et bourré de longueurs - le tout pour déboucher sur une fin qui part un peu dans le vide - je n'ai pas vraiment compris l'intérêt de cette nouvelle. Oui, bon, des adultes jouent à la poupée en se remémorant un monde non-apocalyptique. Ok, c'est marrant 5 minutes mais au bout de quelques pages ca perd son intérêt.

Le suppléant : Cette nouvelle remonte un peu le niveau après les trois nouvelles que je n'ai pas trouvées géniales... Elle reprend les personnages de "qu'allons nous faire de ragland park" - des personnages déléctables et vraiment fouillés, évoluant dans un univers qui est à lui seul un vrai condensé de thèmes Dickiens (pré-cognition, complots, ordinateurs surpuissants, magouilles...) Étonemment, les deux nouvelles qui vont ensemble ne sont pas dans le même recueil. Va comprendre...

Un p'tit quelque chose pour nous, les temponautes : N'étant pas un grand fan des "boucles temporelles" (situation dans laquelle des voyageurs temporels se retrouvent bloqués et forcée à vivre sans cesse les mêmes évènements, prisonniers du temps), je ne considère pas cette nouvelle comme l'une des meilleures du roman. La présence de la guerre froide rend un peu obsolète certains passages et quelques longueurs viennent s'ajouter à une impression générale assez moyenne (cf les autres nouvelles).

Les pré-personnes : Mise en perspective sur l'IVG, cette nouvelle est amusante par son postulat de départ, mais perd vite son souffle - de plus, elle semble affirmer que K. Dick était contre l'IVG, ce qui me surprend et me déçoit. Je ne saurais jamais dire si K. Dick comprenait les femmes, car je trouve qu'il se place toujours au premier plan dans sa perception du monde et des gens qui l'entourent. Même en étant hyper-sensitif, et je pense qu'il l'était, ses personnages féminins sont souvent des caricatures et des faire-valoir, des déclinaisons de cette "fille aux cheveux noirs" (son alter-égo féminin) toujours un peu identiques, femmes fortes ou tyranniques, convoitées ou faciles, femmes-enfant ou femmes adultes en train de perdre leur sex-appeal, tantôt mères tantôt amantes, bien souvent mêmes facettes d'une même femme, mais ne passant jamais, jamais, jamais au premier rang. Bref, je divague, mais les pré-personnes montre cela encore une fois, ce côté un peu tendre mais quand même macho de K. Dick, que je n'aime pas du tout. Aimer les femmes pour ce que l'on voit en elles, ca n'est pas la même chose qu'aimer les femmes pour ce qu'elles sont.


Conclusion : Les meilleures nouvelles de ce recueil ne sauvent pas l'ensemble et il est difficile de comprendre et d'accepter les cassures de rythme et de qualité d'une nouvelle à l'autre.
Je suppose que certaines de ces nouvelles ont été écrites par K. Dick dans des situations où il était payé pour chaque mot qu'il écrivait (c'est en tout cas une situation dont parle souvent Asimov lorsqu'il vendait ses nouvelles) - en fait je n'en sais rien mais les longueurs de certaines nouvelles et la profusion de mots parfois superflus me fait penser que c'est ici le cas. Mais alors pourquoi commencer chaque nouvelle par des phrases qui nous plongent dans l'action sans jamais prendre la précaution d'une introduction? Est-ce obligatoire de commencer une nouvelle aussi abruptement? (par exemple "Earl sortit en coup de vent de la salle de bains"), ou bien "A dix heures du matin, le bruit terrifiant de la sirène familière fit dégringoler Sam Reagan de son lit : il maudit l'Aidumane, là-haut, en surface" : ralentis, putain, on comprend rien! Des débuts comme ça ça donne envie d'arrêter de lire tout net).
C'est un style assumé, mais si K. Dick et d'autres auteurs de science-fiction de l'époque essayaient de faire monter leur nombre de mots, une petite phrase d'introduction aurait pu faire cela très bien tout en ayant en plus l'avantage de planter le décor.
Bref, ces nouvelles méritent d'être lues, même si quelques petits textes plus médiocres ou difficiles d'accès rendent l'ensemble inégal.
fabulousrice
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le 18 mars 2012

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fabulousrice

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