Perfidia
7.3
Perfidia

livre de James Ellroy (2014)

Commençons par le titre. "Perfidia", c'est le titre d'un morceau de Glenn Miller sur lequel Dudley Smith a vu danser Bette Davis - une image qui s'est gravée en lui.


Car oui, toi qui connaît James Ellroy, tu l'auras compris : on retrouve beaucoup de personnages du premier quatuor, mais plus jeunes. Au point que cette édition grand format comporte un index à la fin, qui renvoie aux opus où chaque personnage apparaît. Ellroy, nouveau Balzac...


Le livre se situe à L.A., du samedi 6 au lundi 29 décembre 1941. Le 7, c'est Pearl Harbor. Et la veille au soir, on a retrouvé quatre Japonais Américains éventrés, comme pour un seppuku, dans leur maison. C'est le sergent D. L. Smith qui est sur l'affaire. On fait appel à un gars de la section labo, Hideo Ashida, un jeune investigateur brillant et homo refoulé, un gars entre deux eaux. Il fait tout pour se rendre indispensable, car il sait qu'il sera bientôt interné, comme tous les autres Japs. Mais il doit choisir entre deux protecteurs, qui s'affrontent : "Dudster" Smith, brillant investigateur adepte des solutions expéditives et de l'extorsion, et W. "Whiskie" Parker, un lieutenant qui lutte contre l'alcool et veut devenir le premier catholique à monter dans la hiérarchie.
L'hypothèse du suicide est vite abandonnée. Ashida tait qu'il a trouvé un poste radio clandestin dans le grenier, poste réglé sur des fréquences de la marine japonaise. Des indices étranges suscitent des interrogations : pourquoi cette huile de crevette et ces débris de verre sous les pieds des victimes ? Quid de cet homme au pull violet aperçu par un marin, de ces traces de pieds minuscules, de ces chaussettes ensanglantées ? Par opportunisme, la hiérarchie trouve un suspect idéal : un détraqué sexuel japonais, et fabrique des preuves. Mais Ashida continue, et tombe sur la piste d'une vaste entreprise de rachat de propriétés de Japonais AVANT Pearl Harbor, comme si un cerveau avait anticipé le désastre à venir. Comme si une cinquième colonne était à l'oeuvre sur le territoire des Etats-Unis. A cela s'ajoute les troubles liés au blackout imposé à la ville des anges, et une guerre de triades entre Ace Kwan, parrain chinois, les Japonais et une autre Tong.


Il y a aussi toute une intrigue d'infiltration d'intellectuels de gauche par une jeune femme indépendante, Kay Lake, dont on a des extraits de journal. Elle travaille pour Parker, mais ce projet fait long feu, et ils ont une relation amoureuse torturée.


On finit par découvrir que Preston Exley, entrepreneur immobilier, et Pierce Patchett, chimiste, ont anticipé la croissance de L.A. dans les années d'après-guerre et prévoient de créer de nouvelles bretelles d'autoroutes sur ces propriétés. Tout cela avec l'aide d'un flic mexicain aussi pourri que fasciste, Carlos Madrano, avec qui le Dudster aura des ennuis. Parallèlement, Exley et Patchett veulent opérer des prostituées pour les faire ressembler à des stars de cinéma (voir L.A. Confidential). Dudley, lui, a des projets encore plus tordus : cacher des Japs contre monnaie sonnante et trébuchante et les opérer pour qu'ils ressemblent à des Chinois. Le projet visant à faire des camps d'esclaves japonais obtient l'aval d'Edgar Hoover, patron du FBI qui fait une rapide visite


.
Je l'ai attendu longtemps, ce nouvel opus ! Ellroy a visiblement été transformé par sa trilogie américaine : il a plus que jamais la prétention de faire du roman historique. Fini, les noms maquillés de "L. A. Confidential", maintenant il prend des noms de personnalités qui ont vraiment existé (vous pouvez en trouver un paquet sur cette photo. Et si l'intrigue est parfois embrouillée, le personnage principal reste Los Angelès. Je vous engage à vous imprimer un plan de la ville, avec les différents quartiers, et à suivre les déplacements des personnages, c'est intéressant. L.A. qui vit dans la psychose de guerre, avec ces projecteurs qui balaient le Pacifique dans la peur d'un sous-marin, ces émeutes raciales qui couvent, ses problèmes de recrutement (beaucoup de flics s'engagent, on doit racler le fond de cuve et recourir aux fligueurs de Hearst)... La musique joue un rôle, de celle de Glenn Miller à des références classiques qui révèlent les goûts d'Ellroy.


Maintenant, l'intrigue. Rien de bien nouveau. Extorsion, braquage par des flics pourris, torture, homicide gratuit, ragots sexuels sordides, jeu de je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette... Et Bette Davis, personnage à part entière dans cet opus, puisqu'elle a une courte idylle avec un personnage. Oui oui. Je pourrais revenir sur le développement de personnage comme Dudley, Scotty Bennett, Lee Blanchard, Kay Lake, et tant d'autres, mais ce serait réécrire le livre, donc non. Disons qu'ici, Dudley a quelque chose de fragile, de touchant, même s'il est déjà une brute intimidatrice. Une brute capable tout de même de citer Shakespeare dans le texte.


Je terminerai en relevant le goût d'Ellroy pour l'ampleur. Ses personnages sont bien plus bavards qu'auparavant. Cela ne me dérange pas. Disons que parfois, on a l'impression de lire le monologue d'un personnage de l'"Illiade", monologue invraisemblablement long, mais pas désagréable à lire.


Je me suis bien amusé à lire ce livre, mais c'est parce que j'avais lu les opus précédents. Je ne sais pas si je le recommanderais à quelqu'un qui n'a jamais lu un Ellroy de sa vie...

zardoz6704
7
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le 14 juin 2015

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10 j'aime

zardoz6704

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