Pripyat. Un nom à la fois sinistre et fascinant.


Les rues de cette petite ville Ukrainienne, située à trois kilomètres de la centrale de Tchernobyl, sont probablement ce qui ressemble le plus à un monde après l'apocalypse. Devant l'urgence, les habitants ont quitté leurs maisons, leurs appartements, abandonnant leurs possessions, leurs vies. Les autorités de l’époque étaient rassurantes : l’exil ne durerait pas plus de trois jours. Vingt-neuf ans plus tard, les rues sont toujours vides, colonisées par une végétation qui semble rattraper le temps perdu. Une vengeance de la nature.


Les radiations ont chassé les hommes et Pripyat est devenue une ville musée, toujours, témoin décharné du quotidien de l'Union Soviétique.


La ville représente un double échec : d'une manière évidente, de la domination de l'atome (donc sur la nature),


" On en oublie le plus dangereux, ces fous le regardaient avec orgueil, comme un animal familier, ils s'imaginaient le dominer, maîtriser le nucléaire, ils se croyaient au-dessus des lois de la nature et s'amusaient avec du matériel dont ils n'avaient pas voulu voir les limites. A ce moment, fort de leurs savoirs incomplets, les techniciens décident de faire se mesurer leurs installation à l'atome en furie"


Les mythes d'Icare et de Prométhée réunis en un drame effroyable.


Mais il s'agit également de l'échec du modèle soviétique, désormais intimement lié aux visions hallucinées de catastrophes industrielles. Tchernobyl a tout du fléau biblique.
La catastrophe de Tchernobyl a accéléré la chute idéologique de l’URSS, en remettant en cause de la suprématie technologique du bloc de l'Est.


Ces éléments se retrouvent dans le court texte de Cécilia Colombo. Sans avoir fait le voyage jusqu'à la ville martyre, l'auteure entreprend une balade imaginaire dans cette cité, source de fantasmes. La roue de la fête foraine, esseulée au milieu des arbres, est une invitation à renouer avec des plaisirs enfantins :
" Sur la photographie, au pied de la roue, un ours en peluche me tendait les bras, il devint le complice de ces moments de plaisir. Ces quelques éléments me projetaient au pays des jouets de Pinocchio, dans la cabane d'Hansel et Gretel, vers le Pays imaginaire de Peter Pan, et j'investissais avec bonheur cette place extraordinaire où les jouets et les manèges m'étaient réservés."


Le livre est une opposition permanente entre Pripyat, dans laquelle une magie hors du commun stimule l'imagination et nous permet de nous l'approprier, et l'horreur de la centrale de Tchernobyl, qui se détache au loin, où l'on sait qu'un mal sournois est encore actif.


Cécilia Colombo nous entraîne dans un conte : le trésor et le dragon endormi. Même le paysages à des allures de conte de fées : l'incendie multicolore de la centrale (luminescence de Wigner), la forêt devenu rousse et luminescente sous l'effet des radiations, ces arbres à la vitalité surnaturelle qui envahissent la ville...


Nous avons là tous les ingrédients d'une légende russe.


Mais au delà de ces rêveries, l'auteure a bien les pieds sur terre, et pointe du doigt les autres contes qui ont été véhiculés par le pouvoir et les médias de l'époque : la terrible lenteur des secours, des liquidateurs peu ou pas informés des dangers, un nuage qui ne passe pas certaines frontières...


Tant de mensonges, tant de morts horribles et inutiles, dont la mémoire n'est pas suffisamment honorée. Cécilia Colombo nous parle d'elle, de sa fascination pour cette zone d'exclusion. Et se faisant, elle parle de nous tous et de notre terrible fragilité.

Mentarque
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le 6 juil. 2015

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