Emile Choulans vit seul avec ses parents. Nous sommes au début des années 1960 et l’enfant est âgé d’une dizaine d’années. Chaque année, à la rentrée des classes, remplir la sacro-sainte petite fiche demandée par l’enseignant le plonge dans l’embarras : Nom, Prénom, Profession du père… Or, il n’a jamais su ce que faisait papa.


Lorsqu’il part pour l’école, ce dernier dort encore. Et lorsqu’il rentre, il est déjà en pyjama. Mais qu’y avait-il entre ces deux états ? « Tu n’as qu’à mettre footballeur professionnel », suggère papa. Ou pasteur protestant pour une Eglise américaine. Ou professeur de judo. Ou Agent secret. Selon les années. Selon l’humeur de l’instant.


Car papa est comme ça : il n’explique rien. Il affirme, assène, rouspète, vilipende, râle, interdit, ordonne. Mais n’explique pas. Et Emile, en enfant naïf prend tout pour argent comptant. Alors lorsque papa rentre fou furieux à la maison en insultant le Général de Gaulle qui venait de rendre l’Algérie aux algériens et de trahir ainsi le serment qu’il lui avait fait à lui, son ami intime, son conseiller personnel, il ne lui vint pas à l’idée de penser que papa déraillait ferme.


Comme lui, Emile est aussitôt entré en résistance, barbouillant les murs de la ville de « OAS » avec la craie que papa lui avait donné. C’est lui aussi, le petit Emile, qui nuitamment dépose les lettres anonymes que papa rédige à l’attention des gaullistes de la ville.


Emile est fier. Il souhaite ardemment s’attirer les bonnes grâces de papa. Il est prêt à tout pour faire oublier ses carnets médiocres et recueillir les encouragements paternels. Pour cela, il joue aux espions, échange avec son père par l’intermédiaire de talkie-walkies et envisage d’assassiner le général.


Tout cela serait drôle si papa ne cognait pas si fort. Car André Choulans est un homme violent. Qui n’hésite pas à frapper son fils à la première incartade, la première déception, la moindre faiblesse. Ou de taper sur sa femme si celle-ci ose la ramener et de quitter son rôle de bonne ménagère entièrement dévouée à son homme.


Cette histoire est un roman, mais Sorj Chalandon nous confie que c’est bien son enfance qui s’étale sur ce papier blanc. On rit avec lui de ces situations cocasses, de ce père mythomane et paranoïaque qui entraine son fils dans des jeux abracadabrants. Mais on souffre aussi lorsque l’enfant est levé au milieu de la nuit pour faire des pompes ou que les coups pleuvent.


L’écrivain nous sert un drame familial peu banal, dramatique, bouleversant. Et magnifiquement mis en scène par sa plume de génie. Car même lorsqu’il ne parle pas de politique, de l’Irlande ou du Liban Chalandon reste Chalandon. Un écrivain d’exception, aux formules percutantes mêlées d’effroi et de poésie, de douceur et de souffrance. Chalandon, c’est concis, vif, précis, imagé. Chalandon, c’est magnifique et j’en redemande.


Un livre qui fera date dans ma vie de lecteur !

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le 26 août 2015

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