Lire la Prose du Transsibérien, c’est se confronter à la légende, ou même plusieurs légendes : celle de Cendrars le poète, qui avec Apollinaire a libéré le vers en 1913 ; celle de Cendrars l’éternel voyageur, l’éternel adolescent, nouvel « homme aux semelles de vent » ; et celle du Transsibérien, ligne droite vers l’inconnu. Cette petite anthologie, qui comprend bien sûr cette fameuse Prose en vers, mais aussi « Les Pâques à New York » et « Le Panama », montre bien comment s’est construite cette légende autour de Cendrars. Il s’agit d’une édition scolaire très bien faite, qui propose beaucoup d’autres poèmes d’auteurs différents en complément, mais qui suit l’ancien programme de lycée.


C’est un beau portrait de l’adolescence et de ses turbulences, qui oscille entre enthousiasme et désillusion, excitation et ennui. S’en dégage une vitalité qui fait souvent penser à celle de Rimbaud.
Nous suivons donc le poète dans ses voyages, réels ou imaginaires, à travers le monde. La naïveté de l’adolescent semble refléter la naïveté du monde, un monde neuf, exubérant, encore à explorer, mais dont les confins sont rendus brusquement plus proches grâce à la technologie, qu’incarne le Transsibérien. On reconnaît là l’optimisme et l’insouciance du début du XXe siècle, dans un monde cosmopolite où les frontières semblent n’empêcher personne de passer et où la technologie n’est pas encore devenue suspecte. Même les horreurs de la guerre russo-japonaise en arrière-plan n’entament pas cet optimisme. Seul « Panama » le nuance de façon assez belle : le continent américain n’est pas l’Eldorado qu’on croit, et le rêve d’évasion mène souvent à la tragédie.
Mais cette façon dont la poésie de Cendrars reflète l’état d’esprit de son époque est aussi ce qui rend un des poèmes, « Les Pâques à New York » problématique : en effet, charmé par l’exotisme de New York, Cendrars fait quelques remarques sur les Juifs et les Chinois assez déplaisantes pour un lecteur du XXIe siècle. Je me demande pourquoi il a été inclus dans une anthologie destinée à des lycéens, d’autant plus qu’il est littérairement assez médiocre, avec souvent des vers de mirliton.


C’est en effet ma principale critique par rapport à la poésie de Cendrars : j’admire la légende, je partage l’enthousiasme adolescent, mais la simplicité volontaire de la poésie de Cendrars, la lourdeur de certaines images (« le Kremlin était comme un immense gâteau tartare »…) m’ont parfois lassé. J’ai trouvé la poésie d’Apollinaire à la même époque bien plus subtile. J’ai aimé voyager sur le Transsibérien ; ensuite, j’ai plusieurs fois voulu descendre du train.

Ascyltus
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le 7 oct. 2023

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