Petit protégé de feu les éditions 13ème note, aux côtés d’un certain Dan Fante (dont il est par ailleurs l’ami), Mark Safranko n’est pas franchement ce qu’on pourrait appeler un écrivain sur-médiatisé ; on pourrait même le qualifier d’auteur underground, quelque part à la croisée du néo-beat et de l’autofiction à la française, la touche de noirceur en plus. Francophile assumé, admirateur de Céline et de Philippe Djian, Mark Safranko n’est pas exactement un écrivain de compromis, sa littérature est âpre, traversée de bout en bout par un humour cynique qui maintient constamment le lecteur sur la brèche. Si vous cherchez du réconfort ou du divertissement, fuyez, parce que lire Mark Safranko c’est comme prendre un méchant coup de poing en pleine gueule, ça fait mal et ça laisse des traces.


Issu d’une tétralogie plus ou moins autobiographique dont l’ordre de parution ne respecte pas forcément la chronologie des faits. Putain d’Olivia met en scène un certain Max Zajack (alter-ego de l’auteur, mais qui n’est pas sans rappeler le Bruno Dante de Dan Fante*), joueur de basket raté dont l’existence n’est depuis sa naissance qu’une succession de rendez-vous manqués avec la vie. Au vu du pedigree, dont on peut avoir un aperçu dans Dieu bénisse l’Amérique (qui raconte son enfance et son adolescence), on peut considérer que finalement Max ne s’en tire pas si mal tant sa vie a tout d’un combat acharné sur le ring. Le bonhomme aurait pu finir à moitié cinglé, mais il faut croire que ses capacités de résilience ont pris le dessus, l’épargnant des séquelles les plus sévères d’une enfance pour le moins traumatisante.


“La guerre était finie. J’avais réussi à l’éviter mais ça prouvait que dalle. Depuis lors- quand j’étais pas au chômage ou à vivre sur des coupons alimentaires - j’avais fait tous les boulots imaginables sous le soleil : manoeuvre en usine, chauffeur, journaliste, employé de banque. J’avais pas fait d’HP, contrairement à certains membres de ma famille proche et élargie. Dépression grave. Phobies bizarres. Alcoolisme. Électrochocs. Suicide. Tout ça me préoccupait : tout est dans les gènes. Je passais des mois d'affilée à sillonner le pays. Le cortège des jours oubliables qui formait les longues et nébuleuses années de ma vie semblait toujours être une histoire de lutte pour garder la tête hors de l’eau, et un toit par dessus. C’était vraiment pas une vie.”


Condamné à cumuler les petits boulots instables et les piaules minables, Max partage sa vie entre son meublé infesté de cafards et le quai de livraison où il est employé comme débardeur, évidemment payé un salaire de misère. Alors pour s’extraire de ce quotidien lénifiant, Max se plonge dans la littérature et aspire à d’autres ambitions, celle d’écrire notamment et de devenir à son tour l’égal des auteurs qu’il admire. Mais l’horizon de Max, s’il paraît sordide et déprimant, s’éclaircit brusquement le jour où il aperçoit la belle Olivia, superbe femme aux origines italiennes (donc forcément volcanique, après tout son deuxième prénom est rien moins qu’Aphrodite), qu’il rencontre alors qu’il jouait dans un bar quelques-unes de ses compositions, accompagné de sa guitare. La belle ne semble pas insensible au charme de Max, looser magnifique, dont le discours mêlant habilement philosophie néo-beatnik et considérations cryptiques sur l’art du verbe, paraît pourtant aux antipodes de la drague classique. Qu’importe, la jeune femme aspire également à une vie intellectuelle intense et se pique également d’écrire. Ces deux là sont fait pour s’entendre et entament une relation tout simplement explosive. Mais le ver est dans le fruit. Aveuglé par la beauté d’Olivia et par un amour inconditionnel, Max ignore les signaux d’alerte et préfère vivre d’amour et d’eau fraîche. Une relation ne peut cependant se bâtir sur des fondations aussi fragiles, et à l’orgie de sexe succède une seconde période nettement moins épanouissante. La lune de miel cède donc la place à une phase réfractaire, qui dévoile progressivement les failles et les fêlures de deux êtres écorchés par la vie. Emotionnellement instable, Olivia alterne les phases de déprime et d’excitation intense, brise de la vaisselle ou s’abandonne à une véritable frénésie d’achat pendant que Max s’enfonce dans une solitude bercée d’incompréhension. Elle le foutra des dizaines de fois dehors… avant de revenir le chercher dans la rue, les yeux remplis de larmes et les lèvres ourlées d’une amertume refoulée.


Histoire d’une addiction totale, à la fois physique et mentale, Putain d’Olivia est la chronique d’une relation destructrice entre deux êtres foncièrement toxiques l’un pour l’autre, qui n’arrivent pas à y mettre fin. Un accident sensuel qui n’aurait jamais dû avoir lieu et que le lecteur observe avec un certain effroi. Porté par une écriture sans concession, à la fois brutale,  sèche et volontairement très crue, le roman n’est pas sans rappeler un certain Bukowski, mais les similitudes avec l’oeuvre de Dan Fante (le père n’est également pas bien loin) sont évidentes et assez logiques au regard du respect que se portent mutuellement ces deux écrivains. Traversé par une urgence dont la brutalité bouscule immanquablement le lecteur, Putain d’Olivia n’est pas vraiment le genre de bouquin à mettre entre toutes les mains. Vous êtes prévenu !
EmmanuelLorenzi
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le 25 avr. 2017

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