Ravage
7.2
Ravage

livre de René Barjavel (1943)

Science sans conscience n'est que ruine ?

Que ferions-nous si d’un coup, sans prévenir, l’électricité venait à disparaître ? Franchement, on n’en mènerait pas large. Et il en est de même pour les protagonistes de ce roman qui situe son intrigue dans le Paris des années 2050. Si de prime abord le concept semble original, il l’est d’autant plus lorsqu’on sait que l’auteur, René Barjavel, en a eu l’idée en 1942 à travers ce qui est l’un des premiers romans français de Science-Fiction. Pour être plus précis, Ravage est une œuvre post apocalyptique lorgnant du côté de la dystopie. Ainsi, le côté post apo’ découle des conséquences de la disparition de l’électricité, quand la dystopie prend forme à travers les balbutiements de la nouvelle société d’Hommes livrés à eux-mêmes, et dépourvus de technologie.


Dans Ravage, on suit le parcours de François Deschamps, un jeune homme sérieux et attaché à son terroir provençal, qui débarque à Paris dans le cadre de ses études. Et quand on a été élevé en pleine campagne, la capitale française a de quoi déboussoler avec ses immenses gratte-ciels, ses innombrables avions qui sillonnent les airs ou ses robinets qui alimentent les ménages en lait. François est pragmatique et débrouillard, et de facto il prend rapidement la mesure de la catastrophe énergétique en assurant le leadership au sein du petit groupe de survivants qui décide de le suivre dans sa campagne natale pour rebâtir une nouvelle civilisation. Parce que oui, il faut bien comprendre qu’en l’état c’est bien le chaos qui s’est abattu sur les sociétés.


Comme cela pourrait être le cas aujourd’hui, la fin de l’électricité plonge directement l’Humanité dans ses heures les plus sombres. Rapidement, l’eau courante est coupée, de même que les moyens de communications, les denrées alimentaires viennent à manquer et les pillards/criminels s’en donnent à cœur joie dans les rues jonchées de cadavres et dévastées par les carcasses d’avions qui se sont écrasés suite au blackout. Histoire de compléter le tableau, les maladies commencent à se propager et les catastrophes naturelles s’enchaînent, dont un formidable incendie qui convainc les derniers habitants d’abandonner la civilisation telle qu’ils la connaissent. Indéniablement, la descente aux enfers sociale et environnementale est la plus grande force de ce livre. Barjavel exprimant sans concession tout le pessimisme qu’il éprouve vis-à-vis du progrès et de la nature humaine.


Privé des technologies dont il est entièrement dépendant, l’Homme perd donc tous ses repères et constate avec effroi que ses savoir-faire manuels et artisanaux sont tombés dans l’oubli. Si ce postulat dénonçant l’assistant de l’Homme est appuyé tout au long du roman - avec en point d’orgue la dernière partie -, Barjavel en profite également pour s’attarder sur les travers moraux de l’être humain. Si on fait abstraction de l’apologie du régime de Vichy reprochée à Barjavel – Ravages ayant été écrit durant l’occupation allemande – force est de constater qu’à travers certains protagonistes l’auteur dépeint avec brio l’avidité, l’égoïsme, la couardise et la violence au sein des sociétés ; celle de la fiction, celle de l’auteur, mais également celle des lecteurs, la nôtre. Et c’est d’autant plus remarquable lorsqu’on tient compte de la date d’écriture du livre.


Bien entendu, comme c’est souvent le cas avec les romans d’anticipation parus il y a longtemps, on constate que le virage internet n’a pas été perçu et n’est donc pas exploité, mais cela n’enlève rien au charme des petites excentricités qu’a glissées Barjavel dans son roman. Ainsi, bien avant les ministères farfelus du 1984 d’Orwell , on peut citer le gouvernement français de 2052 composé de Ministres aux fonctions aberrantes, les artistes qui sont astreints à un numerus clausus et qui obtiennent leur titre sur une validation de l’Etat en fonction des messages que véhiculent leurs œuvres, ou encore les livres audio extrêmement répandus qui sont lus à la demande par des ouvriers à la chaîne qui n’attendent que d’être sollicités pour officier. Enfin, je ne peux pas passer sous silence le concept d’Après Vie - qui sera repris par Philip K. Dick dans UBIK - consistant à conserver chez soi, dans une pièce spéciale, ses proches décédés maintenus artificiellement en vie.


Ravage est donc un roman bourré de bonnes idées, à la fois dans sa représentation sociale, dans le rythme insufflé à cette apocalyptique fuite en avant, mais également à travers l’apport des concepts SF qui jalonnent l’aventure. Toutefois ce livre n’est pas exempt de défauts, à commencer par des personnages caricaturaux, et particulièrement le héros : François. Non content d’être lisse et bien trop propre sur lui pour paraître authentique, il apparaît comme un personnage creux et peu attachant. Comme l’écrasante majorité de ses semblables, en atteste l’absence d’émotion lorsqu’ils viennent à disparaître… De ce fait, en s’appuyant sur des personnages pour lesquels le lecteur éprouve peu – pour ne pas dire pas – d’empathie, la morale appuyée bien trop lourdement a du mal à passer et ne manquera pas d’occasionner des sourires forcés aux citoyens du XXIe siècle qui, contrairement à l’auteur, savent voir les bons côtés du progrès technologique.


Reste que Ravage est une lecture sympathique qui saura ravir les lecteurs curieux de découvrir à quoi ressemblait la SF il y a 70ans. Et autant dire qu’ils seront récompensés par quelques fulgurances créatives bien senties et surtout une poignée de scènes – particulièrement durant la fuite de Paris – capable d’happer dans la folie destructrice des Hommes.

MarlBourreau
7
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le 9 août 2017

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MarlBourreau

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