Il faut avouer que parler de sa mère est un sujet galvauder, beaucoup d'écrivains couchent sur le papier leurs sentiments à l'égard de leur maman. Comme si la mère, plus que le père portait en elle tout le capital névrotique de l'enfant. La figure de la mère devient le bouc émissaire, à tord ou à raison, de ses enfants qui voient en elles une figure ambivalente, tantôt douce et aimante, tantôt glaciale et distante. Conter ou raconter son enfance, qu'elle soit heureuse ou pleine de névrose semble être un passage obligé pour toute une mouvance d'écrivains dite « autobiographique », mais bien souvent plus que narrer leur enfance, il s'agit pour ces écrivains de régler leur compte avec leur parents et plus encore avec leur maman.


*Rien ne s'oppose à la nuit* est un roman qu'on pourrait classer dans la catégorie de ces ouvrages à charge qui pointe du doigts une mère défaillante, on pourrait aussi croire que c'est un roman dans lequel l'auteur s’épanche sur de longue pages à propos d'une enfance malheureuse, d'une mère présente et absente à la fois... On pourrait faire dire beaucoup de choses à ce roman, avoir beaucoup d'a priori sur lui, et je dois avouer que j'étais la première à avoir peur de tomber dans une forme de pathos semi larmoyant et faussement autobiographique. D de V je vous dois des excuses parce que j'ai eu tord sur toute la ligne. Déjà, j'ai eu tord de penser que ce roman était autobiographique alors qu'en réalité il s'agit de la biographie d'une mère, de sa mère, Lucile. Si D de V apparaît dans cet ouvrage c'est parce qu'elle en est malgré elle un des personnages principaux. On trouve cependant quelques incursions de la première personne mais elles sont là pour nous faire part des doutes et des craintes concernant l'écriture de cet ouvrage, alors oui, la prétérition est assez fréquente chez les écrivains mais quand on voit la thématique de cet ouvrage on peut se dire que D de V ne joue pas bien au contraire, elle se met à nue devant son lecteur... D de V choisit avant tout de mettre sur le devant de la scène une mère, sa mère. Grâce à ses souvenirs d'enfance, grâce à l'aide de ses frères et sœurs, mais plus encore grâce aux écrits de Lucile, D de V permet à sa mère de rejouer la pièce qu'a été sa vie. Rejouer ? Oui car à la différence de la première, cette fois D de V comprend et semble même pardonner à sa mère. J'utilise sciemment le champ lexical du théâtre car sa vie est une véritable tragédie. De son enfance à sa mort la vie de Lucile est une mauvaise farce, une tragédie au goût amer... D de V ne mâche d'ailleurs pas ses mots à l'égard de cette mère tantôt paranoïaque, tantôt hystérique, tantôt en hôpital psychiatrique. Absolument tout nous est décrit dans ce roman les crises ne nous sont pas épargnées, mais toujours racontées avec beaucoup de pudeur et paradoxalement de brutalité. D de V nous lance en pleine figure et avec beaucoup de violences les « passages à vide » de sa mère, pendant quelques pages, nous sommes confrontés à la violence psychologique et à l'inconstance dans laquelle D de V et sa sœur ont passé une partie de leur enfance et de leur adolescence. Le lecteur suit Lucile dans cette vie cauchemardesque, labyrinthique qui est la sienne, de l'enfance jusqu'à la mort, plus qu'un parcours initiatique, la vie de Lucile.

Plus qu'un roman biographique, c'est à mon sens le roman de la réconciliation, celle d'une fille et de sa mère. Réconciliation qu'on pourrait juger tardive car elle a lieu après la mort de Lucile, à la naissance de ce roman, mais qui semblait nécessaire à l'auteure pour parvenir à entamer son deuil.


A la fin de ma lecture, je dois vous avouez que j'ai eu très envie de prendre ma maman dans mes bras et de lui dire que je l'aimais... A la place, je l'ai regardé en souriant, ma façon à moi de le lui dire.

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le 5 août 2016

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Okrutt

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