S'il y a des livres-métamorphiques, il en fait partie comme la biographie comparée de Jorian Murgrave. La puissance de cet imaginaire nous enveloppe et l'on se retrouve à partager la conscience de cette créature plus ou moins humaine, plus ou moins mutant et fantastique, sans s'étonner des délices de la cruauté d'un monde livré aux guerres perdues, aux confessions-trahisons nous faisant retrouver l'enfance où l'on apprend à devenir monstre.

"J'apprenais à me sentir en sécurité au milieu de la terreur."

Ainsi au gré de l'interrogatoire inquisiteur du personnage-narrateur couchant ses souvenirs d'enfance, on repart sur la trace des différents "Oncles" ayant formé ce Moldscher au sang de Feuhl. On rencontre ainsi autant de personnalités terribles, oncles carnassiers, avaleurs d'âmes, brûlés à la télépathie, élevant ce jeune enfant jonglant entre les différentes races, les différentes tribus, lui de l'espèce des polymorphe de ces Feuhl, mélange de parasites et de doppelgänger vampires, dont "[le] caractère national, c'est d'absorber les particularités des peuples de rencontre... sans perdre [le leur]". Puis c'est l'inquisiteur poursuivant une impossible conquête qui s'accapare des chapitres. Avant un final assez délétère.

C'est rapide, c'est corrosif comme l'acide, ça combine la fabrique de l'Apocalypse brûlant les yeux d'un enfant et le récit, sempiternel, des guerres ratées.

Du côté du post-exotisme, on voyage entre les cités, les pays vitrifiés, les bombes stationnaires atomisant jour et nuit, et les descriptions kamikazes sont éblouissantes, alternant le sombre sordide et l'étincelant paysage nucléaire, en passant par un réduit plein de miroirs et de marionnettes. Et bien sûr la déréliction des invasions des guerres révolutionnaires et contre-révolutionnaires, les haines identitaires délirantes et toutes mutées, jusqu'aux projets abandonnés de solution finale au profit d'une infiltration généralisée qui se solde par un vertige complet :

"L'ennemi, voilà, c'était nous, il avait fallu du temps pour le comprendre. Quatre guerres avec leurs horreurs. Nous assumions donc enfin cette vieille nature, ennemis jusqu'au dernier pouce de notre peau, baignant piteusement dans le sang traître, sur les trottoirs, devant les lignes au petit matin pour l'édification des nouvelles recrues."

Mais ce qui fait le prix de cet opus au-delà des mutants aux pouvoirs occultes, des paysages de ravage, des bestialités trop humaines, ou des parfums envoûtants d'hallucination cauchemardesque, c'est la ligne pure de l'enfance qui se lit dans ces souvenirs : le silence, l'endurance, l'amour de la mère qui reste une figure d'innocence intouchée par toutes les atrocités dans lequel baigne ce monde, et le père, presque mélancolique, suicidé par son oncle, qui est le ressort de l'une des quêtes de vengeance qui retient et qui réserve son lot de désillusion. Ces éléments illuminent sourdement, secrètement, continument toute l'histoire et lui rendent un peu de cette grâce si désespérément souillée.
JohnDoeDoeDoe
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le 4 juin 2012

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