Mignonne, allons voir si la rose...
Il fait bon temps que l'on se ramentevoit si belle jouissance et grand plaisir sur velum couché et oncques ne vit de plus belles aventures que ces aventures -là que Chrétien nous narre avec grand appétit. Car il faut bien le dire, la lecture des Romans de la table Ronde est en effet une belle expérience que j'avais trop longtemps remise aux calendes grecques, bien que l'Education Nationale m'en eût dit grand bien et montré quelques exemples.
Beaucoup de bonnes raisons de lire ce livre en effet. D'abord ce sont de courts romans , qui ne vous prennent guère de temps à parcourir. On n'est pas là dans la geste pharaonique, ou dans une Iliade encyclopédique. Les héros sont présentés sommairement, jeunes et beaux chevaliers, gentes demoiselles et en avant pour les péripéties. Mystérieux adversaires,identités secrètes sous le heaume fermé, joutes féroces, duels dans les bois, philtres d'amour, demoiselle en son château, la panoplie du roman courtois nous est à tous connue. Et il interpelle de constater à quel point tous ces us et coutumes, ces aventuriers, ces amours interdites font encore partie de notre vécu et à quel point notre enfance s'est construite sur ces légendes de la chevalerie d'antan, univers que nous abandonnons en grandissant, tel un rite de passage.
Les lire ainsi à nouveau dans la belle langue de Chrétien de Troyes n'est donc pas sans amener une certaine dose de nostalgie d'un temps où les chevaliers défendaient nos châteaux de légo.
Une autre raison de lire ces romans, est qu'ils proposent une narration bien plus moderne et rebelle qu'on ne pourrait le croire. Voilà des récits dans lesquels l'argent n'est presque pas évoqué, où les règles de bien-séances, les règles hiérarchiques, et les allégeances aux puissants sont à la fois magnifiées et joyeusement balayées au nom des sentiments et de l'affect. Autre révélation , je craignais personnellement de lire moultes références aux écritures, aux évêques et autres religieusetés, et voilà que ces considérations sont quasi -absentes. La règle en vigueur n'est pas l'obéissance ou la foi mais l'Amour, avec un grand A comme l'écrit avec dévotion Chrétien de Troyes. Lisez les Romans et vous verrez que Roméo et Juliette n'ont rien inventé.
C'est la folle domination du mouvement amoureux, transperçant ces récits d'une liberté et d'une fraîcheur étonnantes ,qui contraste brillamment avec le pesant de ces armures et de ces siècles peu joyeux. Et la lecture en est rendue tout simplement lumineuse.
Fort content donc d'avoir comblé une lacune dans mes lectures et d'avoir redécouvert dans le texte les héros magnifiques de la Table Ronde. Un très beau moment de lecture, que vous auriez tort, comme je l'ai eu, de remettre à plus tard.