Sur le perron du pavillon de Tucson où il végète, Fredric Brown émerge d’une énième cuite carabinée. Le bruit de la machine à écrire sur laquelle son épouse Beth tape sa biographie le ramène peu-à-peu à la réalité. Avec une carrière au point mort, des factures qui s’accumulent et une propension à la procrastination qui lui assèche la plume mais pas le gosier, le bougre a toutes les raisons de se sentir sur le déclin. Dans un recoin de sa caboche, une idée trouble joue pourtant au yoyo avec sa raison. L’hypothèse d’un crime parfait qui n’attend plus qu’un mobile et une rencontre propice pour se réaliser. Plus tard dans la journée, dans un bar où il a ses habitudes, Fred fraternise avec un étranger de passage, un Français appelé Roger Vadim au moins aussi imbibé que lui. La muffée ne tarde pas à se révéler comme le prélude à un long delirium tremens, ponctué de fusillades et de carambolages.



« Un instant, en silence, ils soupesèrent l’idée d’un grand récit de
sexploitation soviétique. Vadim trouva même un titre accrocheur, Les
Tigresses du Comité, qu’il n’osa soumettre à son compagnon. Et l’on
finit, gênés par le brusque arrêt des débats, par toussoter
diplomatiquement. »



Premier roman solo de Léo Henry, Rouge Gueule de bois s’apparente à un long road trip alcoolisé sur fond de fin du monde, de Guerre froide, de surréalisme et d’uchronie. On y croise une faune interlope composée d’Hell’s Angels cannibales pas vraiment abonnés au rôle d’anges gardiens, de hippies fêtant la fin du monde autour d’un feu de camp sur la plage, de sectateurs beatniks, adeptes de naturisme et de tantrisme, s’efforçant d’exploser les portes de la perception à grand renfort de cocktails chimiques, sans oublier des extraterrestres en side-car et des morts vivants revenus de tout. On y côtoie aussi la Reine noire de Sogo et son âme damnée Durand Durand, à la poursuite de Barbarella, l’égérie blonde de la contre-culture, et accessoirement quatrième compagne de Vadim, sans oublier George Weaver, le héros de La Fille de nulle part.


Avec Rouge Gueule de bois, Léo Henry s’amuse beaucoup, ne nous laissant pas au bord de la route, le pouce en l’air, la suspension d’incrédulité aux abonnés absents. Il s’amuse avec les références, nous livrant un cocktail délirant où fiction et réalité se mêlent, titillant notre zone de confort avec les dangereuses visions baroques d’une apocalypse syncopée au rythme de la pop culture. Bref, il joue d’une intertextualité généreuse, en connaisseur respectueux de l’œuvre et de la vie de Fredric Brown, traitant en même temps de la difficulté à créer.


Les amateurs du recueil Philip K. Dick goes to Hollywood apprécieront. Les autres boiront un coup, histoire de laisser couler.


Source

leleul
7
Écrit par

Créée

le 22 déc. 2020

Critique lue 46 fois

leleul

Écrit par

Critique lue 46 fois

D'autres avis sur Rouge gueule de bois

Rouge gueule de bois
MarianneL
7

Critique de Rouge gueule de bois par MarianneL

1965 - Fredric Brown, écrivain déjà reconnu, connaît une panne durable d’inspiration et enchaîne cuite sur cuite, pendant que sa femme s’échine à sa biographie sur la machine à écrire, espérant ainsi...

le 25 août 2013

5 j'aime

Rouge gueule de bois
leleul
7

Critique de Rouge gueule de bois par leleul

Sur le perron du pavillon de Tucson où il végète, Fredric Brown émerge d’une énième cuite carabinée. Le bruit de la machine à écrire sur laquelle son épouse Beth tape sa biographie le ramène...

le 22 déc. 2020

Du même critique

Knockemstiff
leleul
8

Critique de Knockemstiff par leleul

Knockemstiff. Le nom claque sec comme un coup de cravache. Dans cette bourgade typique de l'Amérique profonde, perdue au fin fond de l'Ohio, dans un coin paumé où même Dieu ne retrouverait pas son...

le 12 avr. 2013

9 j'aime

1

Gueule de Truie
leleul
2

Critique de Gueule de Truie par leleul

L'espoir fait vivre dit-on. On a envie de le croire, même si cet espoir fait plus souvent mourir comme en témoignent les nombreuses idéologies et croyances prônant un monde meilleur. Et si le...

le 27 févr. 2013

8 j'aime

1

Efroyabl ange1
leleul
9

Critique de Efroyabl ange1 par leleul

La mort récente de Iain M. Banks m’a beaucoup attristé. Par un hasard tragique, elle coïncide à peu de choses près avec la parution dans l’Hexagone de Feersum endjinn, roman intraduisible aux dires...

le 25 juin 2013

7 j'aime