Après avoir lu le premier roman de Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994), j’ai décidé d’outrepasser toute convention et de lire son dernier livre, Sérotonine (2019).


La récurrence des thèmes abordés et des traits de personnalité du héros est d’emblée remarquable. Ainsi, en seulement deux livres, on peut cerner les ingrédients indispensables au style houellebecquien : un homme quadragénaire dépressif qui semble condamné au désespoir et à l’impossibilité du bonheur ; un constat cinglant sur le déclin culturel et démographique de l’Occident ; une analyse centrée sur les rapports sexuels et la misère libidineuse qui en découle chez certains ; une critique de l’ultra-libéralisme moderne, économique comme sexuel.


Extension du Domaine de la lutte et Sérotonine sont des romans à thèse : dans le premier, Houellebecq décrit la paupérisation et les inégalités engendrées par le libéralisme sexuel des années 70 ; dans Sérotonine, il raconte la misère des agriculteurs français, délaissés par les centres décisionnaires européens, et les ravages du libre-échange déloyal.


Sauf qu’avant d’être des pamphlets sociologiques, les romans de Houellebecq c’est d’abord de la littérature : un style particulier (dans Sérotonine, la lecture des phrases de 3 pages avec à peu près cinq cents virgules nécessitent un temps d’adaptation) et un humour cynique ; mais avant tout, à mon sens, une tristesse infinie. Et ainsi, la combinaison entre la tristesse du propos et le plaisir des mots produit chez le lecteur un sentiment de mélancolie absolument addictif, qui lui impose de poursuivre toujours la lecture de ces romans qui ne le rendront pas plus heureux.


Cette tristesse provient, dans Sérotonine, du désespoir de l’auteur et de son abandon de la poursuite du bonheur à la suite d’une rupture amoureuse, qui le hantera toute sa vie. Une jolie histoire d’amour contée par un homme brisé devient paradoxalement plus intéressante, plus profonde.


Enfin, je tiens à noter ici l’héritage évident que Houellebecq a reçu de Zola : les deux auteurs sont naturalistes, ils s’intéressent à des (anti-) héros médiocres, et se délectent de les voir rongés par leurs vices et leur malheur. L’influence sadienne est probable, je crois d’ailleurs qu’il y a une référence au marquis dans Sérotonine : les descriptions vraiment dérangeantes (voire insoutenables) de scènes zoophiles et pédophiles font peu de doute sur le lien entre les deux auteurs.


Ainsi je me confronterai à l’avenir, une nouvelle fois, à ces plaisirs tristes, probablement avec les Particules élémentaires ou Soumission.

Amarogg
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le 4 janv. 2021

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Amarogg

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