Voilà un livre qui ne peut que faire du bien à ceux dont la rage et la passion refuse de totalement s'éteindre. Un livre clé ; Pour comprendre l'être et le monde ; un chef-d'œuvre total qui libère et vous sauve pour toute une vie, une fois lu, on peut partir, doucement, tranquillement, il n'y a plus rien à vivre... si ce ne sont ces pages ! Lu, en une semaine, une semaine d'épuisement émotionnel, ce livre me permit alors de résister, de survivre, chaque page regorgeant d'idées, de phrases percutantes, de vérités, ainsi, radicalité, pureté, romantisme… Voyage radical, intense, au bout de l'être, de sa multitude frénétique, dangereusement excitante, en cela sexe et caractère est l'inverse d'un livre misanthrope, malgré sa fureur et ses conclusions violentes, c'est un livre qui donne envie de vivre, bataille H-F intérieure, bataille H-F extérieure, bataille encore et encore... Guerre des sexes constante, dans la douleur et la douceur des corps abîmés et des âmes embaumées...


Pour écrire ce que Weininger a écrit, il faut avoir une sensibilité extrême et surtout avoir énormément souffert dans son coeur, dans son âme, donc dans sa chair, lui-même juif, et épris de féminité assurément, pour écrire l'analyse critique aussi radicale, juste, brillante et profonde a dû vivre ces choses dans sa chair, dans son âme, bien entendu. Au fond sexe et caractère est un peu son « autobiographie clinique », c'est un voyage au bout de son propre être, un voyage au bout de lui-même, ce qui rend alors le livre encore plus bouleversant, après avoir écrit ses « mémoires d'âme et de corps » Weininger se suicidera dans la maison où est mort Beethoven en 1903. Il a tué ce qu'il haïssait (ce qu'il était) Juif et « femme ». Lui l'admirateur de Richard Wagner, d'Houston Stewart Chamberlain, lui qui en 1903 évoquait la supériorité aryenne avec décomplexion, 30 ans plus tard, Hitler qui aurait dit d'Otto "il y avait un seul Juif honnête et il s'est suicidé." Prendra le pouvoir et tentera d'asseoir la domination aryenne via le pangermanisme, le projet échouera bien entendu. Prophétique aussi sur une certaine féminisation de la politique (via l'émotionnel dictatorial et le sociétal comme priorité.) et des arts (le roman dominant, ce genre féminin par excellence.)


Un être se suicidant à 23 ans ne pourra connaître la nuance (la nuance cette latence pompeuse qui s'impose à nous par ce que nous sommes, les êtres ne sont que déceptions, par leurs nuances intérieures.) et pourtant, paradoxalement, la nuance est dans le livre, le livre se retourne contre lui-même avec brio et contre sa propre dimension dès lors qu'il évoque du H en la femme et du F en l'homme, comment ensuite le définir comme « totalement misogyne » comment le situer comme « totalement antisémite » dès lors qu'il admet volontiers que la judéité est parfois présente en l'Aryen, etc. L'argumentaire est là, mais on ne peut pas nier ces "accusations", il y a bien une vision globale et définitive : le juif et la femme (juiveté) sont un problème et leur manière d'être, leur étalement dans les arts et les sciences et la politique provoquerait catastrophes sur catastrophes pour Otto… Donc, sexe et caractère a la nuance limitée, la nuance de l'explicative ordonnée, mais il n'en demeure pas moins dans une parfaite contradiction avec lui-même : un de ces livres sans nuances, et l'absence de nuances fait un bien fou ! Car si le F est dans le H, c‘est bien le F le souci pour Otto… Car si le Juif est un peu chez l'Aryen parfois, c'est bien le Juif le problème….

Aussi, celui qui comprend les mécanismes du génie est lui-même génie, Otto Weininger était de ceux-là, un génie et non être talentueux. « L'homme de génie est celui chez qui le moi est le plus intense, le plus vivant, le plus conscient, le plus continu et le plus unitaire. Mais en même temps, le moi est le point central de l'aperception, ce qui fonde son unité, ce qui opère la "synthèse" du divers. le moi du génie ne peut donc qu'être lui-même l'aperception universelle, le point qu'il forme dans l'espace, que contient à lui seul tout cet espace : le grand homme porte en lui le monde entier, et le génie est un microcosme vivant. » Ainsi, ce texte explicite parfaitement ce qu'est le génie.


Le livre pose un arsenal de phrases percutantes, dynamite pamphlétaire, les pamphlets Céliniens sont les seuls livres que je perçois comme pouvant rivaliser à ce niveau-là. Otto avait perçu, aperçu, senti l'époque qui viendrait et surtout ces sujets (les Juifs, les femmes, la femme en l'homme, l'homme en la femme et l'affrontement racial entre aryen et le reste du monde.) ne se sont pas « démodés » cela envoûte, excite, existe, tout devient type, typé, archétype, certaines situations de l'existence sont alors vécues avec la marque d'un sourire intérieur quand on pense à ce livre et cela fait beaucoup de bien, et, je m'interroge quant au fait que Pierre Drieu la Rochelle ait lu ou non sexe et caractère, Drieu se disait lui-même obsédé par deux types : la femme et le Juif. "Deux êtres que je passerai ma vie à découvrir : la femme et le Juif." écrivit-il dans une note de 1913. À ma connaissance, il n'existe pas de textes de ce dernier sur Weininger, or, Weininger avait bien des (les) réponses sur la femme et le Juif. À coup sûr Drieu aurait adoré Otto : un romantisme suicidaire reliant les deux.


Notons que : après la lecture du livre, il est difficile d'en lire un autre, tant ce dernier met dans un état d'exaltation, la puissance de celui-ci vous donne le sentiment que vous ne pourrez être finalement déçu de toutes vos lectures suivantes, définition d'un chef d'oeuvre en somme, il domine, impose, écrase, il élève…

JustinLapostolle
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le 30 avr. 2023

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