Soumission
6.3
Soumission

livre de Michel Houellebecq (2015)

Prolétaires de tous les pays, soumettez-vous!

La première chose qui me soit venue à l'esprit en refermant Soumission est « il est quand même fort le Michel, et en même temps il ne s'embête pas trop ». Peut-être ne dépassera-t-il pas « l'enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau », cet élément temporaire du beau qui participe à l'horizon d'attente d'une époque pour reprendre la belle distinction de Baudelaire ; reste que Houllebecq cerne notre société plutôt mieux que les autres, qu'il écrit plutôt bien (en tout cas très efficacement) et qu'il sait garder (appâter ?) son lecteur. S'il est loin d'être certain - désolé ichel, mais il s'agit bien d'un euphémisme - que Houllebecq dispose de ce second élément du beau, élément éternel, invariable, « dont la quantité est excessivement difficile à déterminer », et qui fait qu'on le lira toujours dans trois siècles ; force est de constater qu'il est un excellent peintre de la vie moderne.


Oui mais ça ne suffit pas, le choc et la fascination de la première rencontre (Extension du domaine de la lutte) ne se reproduit pas, les thèmes sont rebattus, le style lacunaire trop connu. Misère sentimentale, réification achevée (à travers notamment le langage, les comportement sexuels), fétichisme de la marchandise, atomisme des individus, lieux de socialisation éclatés (de la famille à l’État)... On n'en finirait pas, tout ceci est intelligent mais Houllebecq ne fait preuve de presque aucune originalité, à aucun moment il ne surprend son lecteur en même temps que les personnages manquent de consistance. Ce qui m'a particulièrement plu dans Soumission est qu'à aucun moment on ne perd la compagnie de Huysmans, - écrivain incroyable qu'il est - on commence et on finit avec lui, François ne vit qu'à travers Huysmans (qu'il s'agisse de sa fascination ou de son parcours universitaire) même s'il ne s'y soumet pas. Il tournera les talons devant ce qui paraît le seul moyen d'échapper au nihilisme mortifère de la société : l'abbaye de Ligugé.


Remarquons qu'il est très ironique que Houllebecq se retrouve accusé d’islamophobie, lui, le soit-disant misogyne. Ceci car la société française islamique qu'il nous peint est, si l'on excepte l'abaissement de la femme au rang de ménagère (maîtresse de l'oikos comme chez les Grecs) et d'objet de distraction sexuelle, n'est pas différente de celle d'aujourd'hui ou, tout le moins, n'est pas très différente de celle qui se profile. Le gros misogyne devrait donc s'en réjouir. Dans cette société, on ne tourne plus autour du pot, les choses sont clairement énoncées : on ne balance plus à tour de bras de beaux discours sur l'égalité, les inégalités étant assumées et fondées (il ne s'agit pas de discuter du contenu de cette justification) ; c'est le règne de l'argent affirmé, avec ce qu'il en coûte en qualité (pour l'enseignement par exemple, c'est le règne de la médiocrité). Sans compter que les problèmes de sécurité sont en grande partie résolus, c'est une société sage, qui sait se tenir. Mais c'est aussi cela qui effraye, on pressent que le débat démocratique, déjà en berne, a été définitivement balayé par des jeux d'influences et de pouvoir. Le pragmatisme a définitivement pris le pas sur la question de la politique (c'est d'ailleurs ce qui permet au parti islamique modéré d'accéder au pouvoir dans le roman).


Je suis très surpris par certaines critiques qui me paraissent complètement oublier que l'on parle ici de littérature, c'est-à-dire du domaine de l'art. Comment peut-on reprocher un manque de réponse ou de concision à la problématique de ce qui s'avère être un roman et non une thèse ? Plus sérieusement, à propos de la question de l'islamophobie, si avancer qu'il s'agit d'une fiction est une réponse un peu courte, il faut quand même la prendre au sérieux. Houllebecq pense les sociétés en termes de civilisation et de rapports de domination (l'histoire ne lui donne pas tout-à-fait tord), et il s'avère que la période que nous vivons ne parvient pas à prendre en main ce nihilisme, que le capitalisme ne compense pas ce besoin d'idéologie car il s'agit bien d'idéologie. Le prosélytisme auquel s'attache (brillamment) Rediger pour convaincre les intellectuels en témoigne lorsqu'il s'évertue à fonder en raison ce qui se trouve n'être qu'une vision du monde (le fait que la science n'ait en aucun cas rendu irrecevable les preuves de l'existence de Dieu, le darwinisme social). La religion a souvent été la réponse à ce vide et il s'avère que l'islam est en expansion, ait survécu (ou soit revenu) à (de) l'effondrement des autres monothéismes. L'Islam porte un projet civilisationnel et politique, il est par conséquent plutôt intéressant qu'un écrivain s'en empare tout en pointant certains problèmes d'un tel retour du religieux, ici de l'islam. Notons également que Houllebecq ne balaye en rien les conflits qui traversent les différentes branches de l'islam (voir par exemple le conflit entre le parti au pouvoir et ceux qui financent la Sorbonne).


Houllebecq ne prétend pas apporter une solution au problème et il n'est pas tout à fait pertinent de le lui reprocher ; reste que son nihilisme noir (et ici le seul pragmatisme de son personnage) ne peut mener vers un autre chemin que celui de la soumission.

simon_t_
6
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le 10 févr. 2015

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simon_t_

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