Sous l'égide de Pessoa (« voyager, perdre des pays »), le projet de Suicides exemplaires est exposé par le narrateur en introduction, un livre entrepris "contre la vie étrangère et hostile", comme un voyage littéraire pour s'orienter dans le labyrinthe du suicide, un voyage pour "épuiser toutes les nobles options de mort possibles".

Sur le suicide, le propos est plus léger que ce à quoi l'on s'attend, comme si le sujet était ailleurs, dans le rapport entre réalité et fiction, entre la vie et sa représentation.

Les protagonistes des nouvelles de ce recueil voyagent ici dans des vies incongrues, souvent ridicules, où l'envie d'en finir est la question essentielle, même si les suicidés en puissance finissent en général par avoir la vie sauve - avec quelques exceptions notables telles que cet inventeur qui succombe à une crise cardiaque juste avant de réussir son suicide.

Il y a ce peintre dont la vie semble réussie mais qui traîne une vague tristesse, une âme mélancolique de vagabond, et une envie de sauter jamais concrétisée, envahi par l'histoire familiale de son ami d'enfance, rejeton d'une famille de suicidés (La mort par saudade), une femme de cinquante ans gardienne de musée, absorbée part l'univers des toiles qu'elle garde, tentée tout au long d'une journée par des formes très diverses de suicide (Rosa Schwarzer revient à la vie).

« En laissant son regard errer dans la cuisine, elle avait en effet aperçu, au milieu des cafés, des fromages, du thé, des tartines de pain de seigle au cumin, des confitures et des rondelles de charcuterie, un cœur solidaire sous la forme d'une incolore bouteille d'eau de Javel qui, si elle avait pu prendre vie, aurait sans doute adopté des traits de triste pantin égaré dans le vide insipide d'une non moins triste cuisine.
Elle se dit qu'il était drôlement facile de mourir et qu'il ne fallait surtout pas rater cette occasion exceptionnelle. » (Rosa Schwarzer revient à la vie)

Préfigurant déjà "Bartleby et compagnie", "L'art de la disparition" évoque un écrivain secret, homme modeste vivant en étranger sur une île étriquée, ayant écrit en secret sept romans jamais publiés, qui découvre au jour de sa retraite qu'il aime être dans la lumière. Il disparaît au moment où il laisse son œuvre paraître.

Finalement, malgré son habileté, l'imagination et l'humour, ce Vila-Matas m'a déçue, inégal et avec des fils de fabrication qu'on a du mal à oublier.
MarianneL
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le 4 oct. 2012

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MarianneL

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