Irene Nemirovsky, un auteur français d'origine russe, a été déportée en 1942 et exécutée à Auschwitz.
Suite Française est la première partie du roman sur la France en guerre qu'elle a écrit entre 1940 et 1942. Il n'y a donc que deux parties sur les quatre qui devaient composer le roman projeté par l'auteur. Le texte n'a pas été remanié par les héritiers et chacune des deux parties forme un tout en soi, cohérent. Le texte ne s'arrête pas au milieu d'une phrase et l'éditeur n'a pas non plus décidé de prendre la plume pour publier une fin à partir des notes de l'auteur (comme dans Le Château de Kafka ou Le temps des amours de Pagnol).

Tempête en juin, la première partie, raconte l'exode de 1940 au cours duquel la France craignant la percée allemande et le sac de Paris s'est précipitée sur les routes pour fuir vers l'Ouest et le Sud. Nous suivons six familles : des grands bourgeois, un banquier et sa maitresse, un couple de petits employés, un vieux garçon précieux, un auteur à succès et sa muse...dans leurs déboires sur les routes. C'est magistralement bien raconté, on vit le désarroi, la crainte, la peur, les lâchetés des uns, le courage des autres et puis, finalement, le retour à Paris après l'armistice.

Dans Dolce, seconde partie, le décor est planté à Bussy, un bourg de la zone occupée qui doit héberger un régiment allemand. Là encore l'auteur se concentre sur quelques familles : des aristocrates, les bourgeois du village et une famille de paysans. L'ambiance est très mauriassienne. Dans la descriptions des mœurs étriquées des bourgeois de province, on se croirait vraiment dans Génitrix!
Elle savait qu'aux yeux de Madame Perrin, tout ceci était bien: la fausse cheminée, l'odeur de cave, les persiennes à-demi closes, les housses sur les meubles, la tapisserie olive à palmes d'argent. Tout était convenable; elle offrirait tout à l'heure à ses visiteuses une carafe d'orangeade et des petits-beurre poussiéreux. Mme Perrin ne serait pas choquée par la mesquinerie de cette collation; elle y verrait une preuve nouvelle de la richesse des Angellierr car plus on est riche, plus on est avare; elle y reconnaitrait son propre souci de l'épargne et ce goût d'ascétisme qui est au fond de la bourgeoisie française et relève ses plaisirs secrets et honteux d'une amertume tonique.

Les villageois sont partagés entre la résistance passive (façon Silence de la Mer) et la fraternisation molle. Ceux qui ont vécu la première guerre et y ont perdu un parent sont nombreux et il reste quelques ainés pour se souvenir de 1870...les rancunes sont tenaces. Petit à petit des liens se créent mais on n'oublie jamais qu'on est en guerre et que le camarade de beuverie est un soldat ennemi. La guerre...oui, on sait bien ce que c'est. Mais l'occupation en un sens, c'est plus terrible, parce qu'on s'habitue aux gens, on se dit :"Ils sont comme nous autres après tout", et pas du tout, ce n'est pas vrai. On est deux espèces différentes, irréconciliables, à jamais ennemis", songeaient les Français.".

Les notes de l'auteur ainsi que la correspondance avec son éditeur suivie de celle de son mari avec différentes autorités pour la faire libérer puis au moins savoir ce qu'elle est devenue (sa mort n'a été confirmée qu'en 1945) suivent le roman...Les notes permettent de réaliser ce qu'aurait été le roman achevé...on aurait vraiment aimé en lire plus!
rivax
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le 12 janv. 2011

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rivax

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