Šukran, c'est l'histoire un peu folle de Roland Cacciari, ancien soldat démobilisé après la guerre entre l'Europe et le Moyen-Orient. Obligé de jouer du guitarion dans les lieux publics pour se nourrir, il se retrouve par hasard engagé dans une affaire bien louche. Il rencontre Potemkine, un homme de main de Eric Legueldre, homme d'affaires possédant une société d'électronique de pointe. Mais les activités de la société Nord-Sud dissimulent un trafic d'esclaves maghrébins.

Dans Šukran, Jean-Pierre Andrevon aborde de nombreux thèmes. Le principal sont sûrement les méfaits de la guerre. En fait, plus particulièrement les méfaits de l'après-guerre, l'abandon par l'Etat de ses soldats qui ont été combattre loin de chez eux, pour des raisons qui ne les concernent pas vraiment. Ainsi, Roland Cacciari est chômeur, mendiant, un marginal en somme, qui n'a pas su se réadapter à la vie sociale, mais qui n'y a pas été aidé.
Andrevon évoque également l'horreur dont sont capables certains hommes. Ainsi, Roland Cacciari devient chef de la sécurité dans une société aux activités malfaisantes. Il travaille pour des trafiquants d'esclaves, des personnes aux idées d'extrême-droite prêts à toutes les horreurs pour que leurs idées politiques deviennent réalité. D'un autre côté se trouvent des terroristes musulmans qui combattent l'entreprise de Legueldre. Eux aussi usent d'une grande violence pour arriver à leurs fins.
Enfin, Šukran se situe dans un avenir proche, dans lequel l'écologie de la Terre a semble-t-il été ravagé. Marseille a les « pieds dans l'eau ».

L'histoire avance à coups de situations fortuites, de coups de chance pour l'(anti-)héros, d'événements parfaitement inattendus. C'est un fait complètement assumé par Andrevon, qui explique même dans un passage les ficelles du polar. Les personnages auxquels est confronté Cacciari sont un peu archétypaux : la brute est-européenne, le chef d'entreprise mafieux et d'extrême-droite, les femmes fatales aux corps de rêve...
Mais c'est en présentant des personnages et des faits extrêmes qu'Andrevon réussit à imprimer l'esprit du lecteur avec des images fortes, les répliques cinglantes de ses personnages. Il n'en fait que mieux passer son message.

Et ce message est plutôt pessimiste. Šukran est un roman passionnant, et c'est peut-être grâce à cela. Il ne pointe que quelques lueurs d'espoir au milieu d'un océan de situations déprimantes. Elles ne viennent pas du personnage principal, qui laisse longtemps faire Legueldre avant de se rebeller, mais en s'associant ni plus ni moins qu'avec des terroristes musulmans qui n'ont rien d'enfants de cœur. Ces lueurs d'espoir ne proviennent en réalité que d'un seul personnage, une enfant en présence de qui Cacciari révèle toute son humanité.
La conclusion de ce roman vieux de 20 ans mais qui est d'une incroyable modernité (il aurait pu avoir été écrit cette année qu'on ne verrait pas la différence. Tout y est : la « maghrébisation » du sud de la France qui entraîne une montée du racisme, les tensions Occident/Moyen-Orient, la montée de la mer suite au réchauffement climatique...) est que notre avenir s'annonce très sombre, que les hommes seront toujours capables du pire, qu'ils ne tirent pas les leçons de leurs erreurs, qu'il ne brille presqu'aucune lueur d'espoir.

Avec Šukran, Jean-Pierre Andrevon propose donc un petit chef-d'oeuvre de roman noir. Après Le Travail du Furet écrit quelques années plus tôt, il montre qu'il est un grand auteur à découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas encore ou pas bien.
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le 19 déc. 2010

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