"Tandis que j'agonise" est le récit à multiple voix de la mort et de l'enterrement d' Addison Bundren, mère de famille dans l'Amérique du Sud si chère à Faulkner.Le récit monotone du parcours de ce corps, agonisant, mort, puis pourrissant, est rythmé par le décompte angoissant de la putréfaction annoncée de cette ultime mission confiée par la mourante: être enterrée à Jefferson avec sa famille, demande qui sonne comme un punition, un fardeau souligné par d'autres épreuves, les intempéries, l'argent qui vient à manquer, la peine de la jeune soeur qui souhaite cacher sa grossesse...
Mais malgré le changement, irrégulier, des narrateurs, Faulkner se joue dans ce récit du lecteur, les affiliations, longues à comprendre, sèment le trouble, et plus précisément recréent cette sensation de perte et de manque de repères dans une famille qui manque de centre de gravité. Le fils aîné Dash, construit le cercueil de sa mère sous son regard imperturbable. Le plus jeune fils, Vardaman, qui tue un poisson au début du livre, confond dans ses pensées sa mère et ce poisson, et semble s'approcher d'une vérité inconsciente "ma mère est un poisson, la mère de Jewel est un cheval". Cet autre fils, au caractère farouche, que tout semble distinguer des autres, mais qui demeure le préféré de la mère, se révèle être issu d'une autre liaison, don l'aveu est avorté au moment même où la mère disparaît.Le dernier fils, Darl, est celui auquel le plus de chapitre est consacré, on se sent donc naturellement plus proche de lui, alors que les autres récits le décrivent comme un garçon inquiétant et fou. Paradoxalement les narrations de Dash semblent plus confuses, de même celles de Vardaman, mais c'est bien Darl qui se fait enfermer au final de l'histoire, continuant d'achever la confusion de la lecture. Car finalement, ce récit entremêle les confidences, les pensées et les commentaires de chaque personnages ne suffit pas à recréer la clarté d'une narration omnisciente. Et c'est bien sur ce trouble que joue Faulkner, même avec tous les éléments il manque, et il manque toujours, une donnée objective qui échappe au lexique et à l'entendement humain.
Le récit se conclue de la même sorte, Anse, le père, qui semblait enlisé dans les complexes d'une politesse exacerbée et imbécile (ses principes qui lui enjoignent de refuser de l'aide, qui le pousse à enduire la jambe cassée de son fils dans du ciment plutôt que de le conduire à un médecin s'il n'en a pas les moyens) témoigne avec une simplicité incroyable de n'avoir eut finalement de hâte que d'acheter un dentier en ville, et cela au détriment des tous ses enfants.
L'écriture de Faulkner, toujours lapidaire et efficace, retrace ce parcours mortuaire au travers de ce qui semble être les différents cercles de l'enfer humain, semant dans l'esprit du lecteur le même désordre mental qui semble être le pouls de cette famille.
Emma Breton
madamedub
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le 22 juil. 2011

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