Tous à Zanzibar
7.4
Tous à Zanzibar

livre de John Brunner (1968)

Ce bouquin, offre, et c'est son intérêt majeur, la possibilité de découvrir la façon dont un écrivain de science-fiction avait envisagé - il y a un demi-siècle - notre époque. Bien plus que 1984 d'ailleurs, qui était plus une charge contre les totalitarismes de tous poils qu'un roman d'anticipation. Car dans "Tous à Zanzibar", il me semble que Brunner s'est véritablement projeté 50 ans en avant, en essayant d'extrapoler à partir des tendances de son époque.


Eh bien, disons qu'il s'est planté s'agissant des évolutions technologiques, mais qu'au contraire il a fait mouche pour ce qui concerne les aspects sociétaux et géopolitiques. Pour les premières, il a très nettement surestimé la vitesse d'évolution des biotechnologies et de l'ingénierie génétique et au contraire fortement sous-estimé celle des technologies de l'information (même s'il y a dans le scénario un supercalculateur). Car si dans son bouquin apparaît la possibilité, à relativement court terme, la possibilité d'améliorer génétiquement la population d'une nation de 200 millions d'habitants, notre décennie ne connaitrait selon lui ni internet, ni le smartphone...


Mais si l'on fait une croix sur les technologies (après tout Brunner s'intéressait peut-être plus à la biologie qu'à l'électronique), la description du monde des années 2010 qu'il nous sert est à bien des égards saisissante de lucidité. Mondialisation des échanges économiques, poids des compagnies multinationales (dont les profits annuels peuvent être largement supérieurs au PIB de certains états), omniprésence de la publicité qui vante des produits le plus souvent centrés sur la satisfaction de l'égo des consommateurs, sociétés des pays occidentaux divisées et violentes (avec des émeutes dans les ghettos), multiplication dans les pays les plus riches des sans-logis, éclatement géopolitique du monde se traduisant par des conflits multiples et larvés. La cerise sur le gâteau étant l'existence bien installée d'un phénomène récurrent et quasi-quotidien : des attentats suicides (commis par des amocheurs), à caractère souvent gratuit, qui rappellent à s'y méprendre ce qui frappe aujourd'hui de très nombreux pays. Et, comble de l'ironie, l'une des rubriques du livre s'appelle, dans la traduction française, "Le monde... En marche".


En même temps, "Tous à Zanzibar" est très imprégné de culture sixties, et fleure bon, disons le flower power californien. Guerre contre le Yatakang qui fait évidemment référence à celle du Vietnam, marijuana et autres drogues hallucinogènes, libération sexuelle...Mais attention il ne s'agit pas ici de swinging London : il est d'ailleurs curieux qu'un auteur britannique se soit à ce point placé dans une perspective totalement étasunienne. L'Europe n'est d'ailleurs presque jamais évoquée (si ce n'est à travers la Commission Européenne, bien vu là aussi) et n'est figurée qu'à travers des personnages secondaires (anglais et français), tous névrosés et décadents et souvent nostalgiques du passé colonial de leur pays.


J'ai compris par ailleurs que ce livre avait rebuté certains lecteurs, en raison de sa structure complexe, inspirée par "U.S.A" de Dos Passos. En réalité, cela n'est pas si compliqué et on comprend vite que la trame principale se joue à travers les chapitres qui entrent dans la rubrique "continuité", cela autour des personnages de Norman House et de Donald Hogan. Le reste n'étant qu'éléments de contexte, qui en quelque sorte immergent le lecteur dans l'univers de l'auteur. Et si ceux-ci sont lui jetés en pâture de façon un peu anarchique, le propos reste clair et surtout les chapitres qui les contiennent sont souvent courts et constituent une pause bienvenue et souvent pertinente dans le déroulé de la trame principale.


En définitive, seule la fin du roman laisse perplexe, dans la mesure où elle introduit une dose d'espoir et d'humanisme dans un univers délibérément dystoptique. Car société étasunienne que décrit Brunner est peuplée, y compris à ses plus haut échelons, de personnages égocentrés et fuyant autant que faire se peut les relations sociales (d'où mon titre de critique, qui est aussi celui d'un morceau quasi contemporain de livre) . Même si l'auteur a sans doute poussé le bouchon un peu loin en imaginant des lois eugénistes, en vigueur dans la plupart des états, pour faire face à la surpopulation. Mais que diable a t'il voulu nous dire en mettant en parallèle la guerre menée par la C.I.A au Yatakang et ce projet de développement économique du Béninia, confié à une multinationale mais très peace and love dans le fond ?

Marcus31
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le 23 août 2017

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Marcus31

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